L'ONG Médecins sans Frontières a décidé vendredi de renoncer à tout financement de l'UE et de ses États membres, pour dénoncer leur politique migratoire « honteuse » qui repousse « loin des côtes européennes les personnes et leurs souffrances ».

L'annonce de l'organisation humanitaire vient s'ajouter à la longue liste des critiques essuyées ces derniers mois par l'UE, surtout depuis l'accord controversé scellé en mars avec Ankara pour freiner l'afflux de migrants en Europe.

Ce sont des « mesures ravageuses », a dénoncé MSF lors d'une conférence de presse organisée en plein coeur du quartier européen de Bruxelles.

Elles « vont à l'encontre de nos valeurs », a lancé le secrétaire général international de l'ONG Jérôme Oberreit devant des journalistes. « En conséquence, MSF ne fera plus de demande de fonds auprès de l'UE et de ses États membres », a-t-il annoncé.

La décision, à effet immédiat, sera appliquée « à tous les projets de MSF à travers le monde », a-t-il précisé.

Les fonds européens représentent 8 % du budget de l'ONG (le reste provenant de fonds privés), a-t-elle précisé, soit 56 millions d'euros (plus de 81 millions de dollars CAN) en 2015 (19 millions des institutions de l'UE et 37 millions des États membres).

MSF déclinera également désormais les financements de la Norvège (près de 7 millions d'euros l'an dernier - plus de 10 millions de dollars CAN), non membre de l'UE, mais qui participe à sa politique migratoire.



200 000 personnes soignées

Médecins sans Frontières, auréolé en 1999 d'un Prix Nobel de la paix, a soigné depuis le début 2015 quelque 200 000 hommes, femmes et enfants en Europe et en Méditerranée, migrants fuyant conflits et misère au péril de leur vie.

L'ONG est particulièrement engagée dans l'île grecque de Lesbos, où se sont entassés des milliers de migrants, et dans le port de Calais (nord de la France). Elle participe aussi à des opérations de sauvetage en mer à bord du navire Argos.

« Sur les îles grecques, plus de 8000 personnes, y compris des centaines de mineurs non accompagnés, sont restées bloquées », vivant dans « des conditions terribles, dans des camps surpeuplés, parfois pendant des mois », déplore l'ONG.

C'est une « conséquence directe » selon elle de l'accord conclu entre l'UE et Ankara, qui prévoit le renvoi de tous les nouveaux migrants arrivant sur les côtes grecques depuis la Turquie vers cette dernière.

MSF dénonce également la focalisation sur l'accueil en Europe de Syriens depuis la Turquie, dans le cadre de cet accord, au détriment de demandeurs d'asile d'autres nationalités.

« Depuis des mois, MSF a dénoncé la réponse honteuse de l'Europe, qui se focalise plus sur la dissuasion que sur l'aide et sur la protection à apporter aux personnes qui en ont besoin », a expliqué Jérôme Oberreit.

L'attitude de l'UE à l'égard des pays africains est aussi dans son viseur. Elle veut « imposer une réduction de l'aide au commerce et au développement » à ceux qui « n'endigueraient pas la migration vers l'Europe ou qui ne faciliteraient pas les retours forcés » de migrants irréguliers, a-t-elle dénoncé.

« Courageux »

Amnistie internationale a apporté son soutien à MSF, saluant sur le réseau social Twitter une attitude « courageuse et fondée sur des principes », face à la « honte » de l'accord entre l'UE et la Turquie.

Combiné avec la fermeture de la route migratoire des Balkans, ce pacte a eu pour effet de provoquer une baisse considérable des arrivées sur les côtes grecques depuis fin mars, mais il a aussi suscité de nombreuses critiques de la part des défenseurs des droits de l'homme.

Interrogée, la Commission européenne a souligné de son côté que MSF ne participait pas aux projets d'aide humanitaire de l'UE en Turquie.

« L'an passé, le soutien de la Commission européenne à MSF s'est monté à tout juste un peu plus de 1 % du total de son budget dédié à l'aide humanitaire, soit environ 15 millions d'euros (près de 22 millions de dollars CAN) sur 1,5 milliard », a voulu relativiser le porte-parole en chef de l'institution Margaritis Schinas.

Comme la Belgique, l'Allemagne a dit de son côté regretter la décision de MSF. « Mais cela correspond à cette organisation », a estimé une porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, estimant que MSF « est très restrictive concernant les moyens provenant de sources étatiques ».