« On ne peut pas faire semblant de ne rien voir. » Matteo Renzi, le président du Conseil italien, ne cachait pas son indignation lorsque, dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, un énième bateau de migrants sombrait en Méditerranée en tentant d'atteindre l'Europe. Les témoignages, parfois contradictoires, des 28 survivants évoquaient de 700 à 900 victimes. C'est le naufrage le plus meurtrier du XXIe siècle en Méditerranée.

« Nous récupérerons ce bateau, promettait alors Renzi. Nous avons le devoir de donner à ces personnes une sépulture et de montrer à l'Europe qu'il ne faut pas fermer les yeux. »

À l'époque, personne n'y a vraiment cru. L'opération serait inédite et coûterait plusieurs millions de dollars, entièrement aux frais de l'Italie. Pourtant, un an après le naufrage, l'Italie est en voie de tenir sa promesse. Une « opération humanitaire qui doit confirmer la vocation de l'Italie à être un pays accueillant et une porte d'entrée sûre en Europe », commente le ministère de l'Intérieur.

Dans les mois qui ont suivi le naufrage, 169 corps ont été récupérés et autopsiés, selon les chiffres avancés par Vittorio Piscitelli, le commissaire extraordinaire aux personnes disparues, qui dépend du ministère de l'Intérieur. Son poste, unique en Europe, fait de l'Italie un précurseur en matière d'identification des migrants disparus lors de naufrages. « Il reste maintenant les corps des victimes enfermées dans la cale. On estime qu'il y en a au moins 400, mais cela peut être bien plus », confie-t-il, avant de détailler la suite des opérations.



Photo TIZIANA FABI, archives Agence France-Presse

« Nous avons le devoir de donner à ces personnes une sépulture et de montrer à l’Europe qu’il ne faut pas fermer les yeux », avait déclaré le président du Conseil italien Matteo Renzi, le 19 avril 2015, après un naufrage qui a coûté la vie à plus de 700 migrants.

PLUS DE 200 MÉDECINS LÉGISTES MOBILISÉS

Vers la fin de cette semaine, la Marine militaire italienne se dirigera à 85 milles au nord des côtes libyennes, là où repose l'épave du bateau, à 370 mètres de profondeur. Les opérations en mer doivent durer deux jours, avec le soutien d'une entreprise privée de travaux offshore. Ensuite, cap sur Augusta, port industriel sur la côte est de la Sicile. Au milieu des terminaux pétroliers et des hautes cheminées qui mangent la côte, la base militaire de Melilli accueillera plus de 200 médecins légistes venus de toute l'Italie. Ils se relaieront pendant plus de trois semaines pour pratiquer les autopsies.

À leur tête, Cristina Cattaneo, dont les grands yeux verts et la tignasse en bataille sont bien connus des Italiens. À la tête du département de médecine légale de l'Université de Milan, elle est spécialisée dans l'identification des morts anonymes et convoquée pour résoudre les faits divers les plus terribles. Après le naufrage du 3 octobre 2013 au large de l'île de Lampedusa, c'est déjà son laboratoire qui avait tenté de retrouver l'identité des 368 victimes.

Photo archives Associated Press/Guardia Costiera

Image tirée d'une vidéo montrant les opérations de recherche de la garde côtière italienne après le naufrage. Au total, 169 corps ont été récupérés et autopsiés dans les mois qui ont suivi le drame, selon les autorités italiennes.

À ses côtés, son collègue Danilo de Angelis détaille le protocole : « Au cours de l'autopsie, nous sommes attentifs à chaque détail qui pourrait faire parler ces corps : les cicatrices, les tatouages, les piercings, les éventuelles fractures, mais aussi les doublures des vêtements qui contiennent parfois de l'argent ou des numéros de téléphone écrits sur un bout de papier. » 

Pour mener ce travail de fourmi, le laboratoire de Milan travaille de concert avec ses homologues siciliens. À Palerme, Catane ou Messine, ils sont en première ligne pour faire face aux naufrages, habitués depuis des années à recevoir dans leurs morgues ces migrants anonymes. Cheveux blancs, petite moustache blanche et cravate bien mise, le professeur Paolo Procaccianti est l'un d'eux. D'une voix qui ne souffre aucune hésitation, il affirme : « Ce travail, nous le faisons aussi et surtout pour les vivants, les proches. Nous voulons leur donner un corps à pleurer. »

UN DERNIER REPOS POUR LES MIGRANTS

Malgré les prouesses scientifiques et le dispositif exceptionnel mis en place pour le naufrage du 18 avril 2015, les recherches des familles des victimes prendront des années. D'ici là, il faut trouver où enterrer ces centaines de corps alors que les cimetières italiens sont souvent déjà pleins. La petite ville de Tarsia, nichée au coeur de la Calabre, a proposé de transformer l'ancien camp de concentration nazi qui se trouve sur la commune en premier cimetière international des migrants morts en mer. Le projet a reçu l'aval de la région et du ministère de l'Intérieur et a été officiellement présenté par le maire en octobre dernier, mais les travaux d'aménagement n'ont toujours pas débuté.