L'UE s'est donnée 10 jours supplémentaires pour finaliser un nouvel accord avec Ankara visant à stopper l'afflux de migrants vers l'Europe, avec sur la table la proposition spectaculaire de renvoyer en Turquie tous les migrants traversant la mer Égée, y compris les Syriens.

Ce nouveau sommet entre les dirigeants des 28 et la Turquie, achevé dans la nuit de lundi à mardi à l'issue de discussions laborieuses, a abouti sur la promesse de nouvelles tractations, avec en point de mire un prochain sommet prévu le 17 mars à Bruxelles.

« Le temps des migrations irrégulières en Europe est révolu », s'est félicité le président du Conseil européen, Donald Tusk, malgré l'absence d'accord global après plus de 12 heures de réunion.

Ankara a créé la surprise en mettant sur la table de nouvelles propositions - fortement suggérées par l'Allemagne et la Commission européenne, selon certains participants - mais aussi de nouvelles exigences, devant des Européens cherchant désespérément une solution à la crise migratoire.

La Turquie a notamment demandé trois milliards d'euros d'aide européenne supplémentaire, en plus de trois milliards déjà promis, pour mieux accueillir et intégrer sur son sol les réfugiés syriens (2,7 millions actuellement).

Elle veut surtout l'accélération des négociations pour supprimer « d'ici juin » les visas pour les Turcs circulant dans l'espace Schengen.

Et dans la perspective d'adhérer à l'UE, « nous voulons que cinq chapitres de négociations soient ouverts aussi vite que possible », a insisté le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.

« Décision audacieuse »

En contrepartie, « nous avons pris la décision audacieuse d'accepter le retour de tous les migrants irréguliers en provenance de la Grèce, quelle que soit leur origine », a promis M. Davutoglu, à condition que les Européens s'engagent, pour chaque demandeur d'asile renvoyé en Turquie, à transférer un réfugié depuis la Turquie vers le territoire de l'UE.

Cet engagement de la Turquie s'ajouterait à celui d'accélérer la mise en oeuvre d'un accord de « réadmission », qui prévoyait qu'elle reprenne à partir de juin les migrants « économiques » pour les expulser à son tour vers leurs pays d'origine.

« C'est un bon accord, qui va changer la donne », s'est réjoui le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, estimant qu'il allait « briser le ''business model'' des passeurs », sauver des vies et « soulager une partie de la pression sur la Grèce », au bord de la crise humanitaire.

Le président français François Hollande a salué « un acte très important [de la Turquie] de réadmettre les réfugiés et les migrants qui ont quitté de façon irrégulière la Turquie vers la Grèce ».

Des points « à clarifier »

L'idée, qui a l'appui de l'Allemagne, est de lancer un message à tous les candidats au voyage vers l'Europe: les migrants économiques seront renvoyés, et les demandeurs d'asile ont tout intérêt à déposer leur requête en Turquie pour espérer un transfert sans danger vers l'UE.

Mais « il reste de nombreux points à clarifier », a admis une source diplomatique, faisant état des doutes de certains pays sur la légalité du dispositif - peut-on renvoyer des demandeurs d'asile syriens? - et sur sa faisabilité.

« Pourquoi renvoyer des Syriens en Turquie pour les reprendre ensuite? », s'est ainsi interrogée une source diplomatique, assurant que plusieurs pays se refusaient à « soutenir une proposition aussi floue ».

Le premier ministre hongrois Viktor Orban, déjà vent debout contre le plan de répartition dans l'UE de réfugiés arrivés en Grèce et en Italie, a clairement fait part de son opposition à un plan impliquant des « réinstallations » massives depuis la Turquie.

Il faut aussi examiner « le prix à payer », a indiqué une source européenne. La Turquie réclame une enveloppe supplémentaire de trois milliards d'euros d'ici 2018, en plus des trois milliards déjà promis par Bruxelles pour favoriser l'accueil et l'intégration des 2,7 millions de réfugiés syriens sur son sol.

Et Ankara espère obtenir dès juin un régime sans visas pour ses ressortissants, qui devait s'ouvrir au plus tôt à l'automne, et démarrer rapidement des négociations sur de nouveaux chapitres d'adhésion à l'UE.

Les Turcs ont déjà scellé fin novembre un « plan d'action » avec l'UE pour stopper les migrants quittant par milliers la côte anatolienne à destination de la Grèce, en renforçant notamment la lutte contre les passeurs.

Mais 15 000 à 20 000 migrants continuent d'arriver chaque semaine de Turquie sur les côtes grecques, moins qu'à l'automne mais en nombre « beaucoup trop élevé », selon les dirigeants européens, qui craignent un nouvel afflux au printemps.

La Turquie et l'UE peuvent compter depuis dimanche sur l'aide de navires de l'OTAN, qui surveillent les passeurs et peuvent désormais opérer dans les eaux territoriales grecques et turques.

Route fermée?

Alors que les tractations avec les Turcs se compliquaient, une querelle a éclaté entre Européens autour de la situation sur la route migratoire des Balkans, empruntée l'an dernier par plus de 850 000 migrants.

La déclaration finale du sommet devait mentionner que « cette route est désormais fermée », mais certains pays comme l'Allemagne ont fait part de leurs fortes réserves.

« Il ne peut s'agir de fermer quoi que ce soit », a lancé la chancelière allemande Angela Merkel. Berlin craint en effet de donner le sentiment d'entériner les décisions unilatérales de certains pays situés sur cette route des Balkans, comme l'Autriche, qui ont instauré des quotas de demandes d'asile et de « transit » de migrants et isolé la Grèce.

De manière plus consensuelle, les dirigeants européens devaient s'engager à débloquer rapidement une aide humanitaire inédite de 700 millions d'euros sur trois ans pour ces pays en première ligne, principalement la Grèce.

PHOTO OLIVIER HOSLET, AP

«Il ne peut s'agir de fermer quoi que ce soit», a lancé lundi la chancelière allemande Angela Merkel, en référence à la fermeture annoncée de la route des Balkans.