L'Union européenne va faire pression lundi à Bruxelles sur la Turquie pour qu'elle l'aide à maîtriser la crise migratoire qui met en péril son unité et s'est traduite dimanche par un nouveau drame qui a coûté la vie à 25 naufragés en mer Égée.

Parallèlement, l'Union est prête à assister la Grèce qui s'attend à devoir accueillir encore 100 000 migrants d'ici fin mars en provenance du voisin turc.

Les 28 partageront lundi un déjeuner de travail avec le premier ministre turc Ahmet Davutoglu, au moment où l'arrivée de 1,25 million de demandeurs d'asile divise comme jamais le bloc européen.

Ce nouveau sommet extraordinaire survient dans un climat de frictions récurrentes entre l'UE et la Turquie, candidate de longue date à l'adhésion, les Européens s'inquiétant de la répression contre les médias critiques du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan.

M. Davutoglu sera à Bruxelles dès dimanche soir pour «préparer le sommet» à huis clos avec la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE.

Avant son départ d'Istanbul, le dirigeant turc a affirmé que son pays avait fait des «pas importants» pour respecter sa part du «plan d'action» conclu en novembre avec l'UE afin de stopper les migrants quittant par milliers les côtes turques à destination des îles grecques.

Au moins 25 migrants, dont dix enfants, ont encore péri dimanche dans un naufrage au large de la Turquie.

Convaincre Ankara

Après une récente tournée dans les Balkans, en Grèce et en Turquie, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a cru déceler «un consensus européen (...) autour d'une stratégie globale, qui, si elle est mise en oeuvre de façon loyale, peut aider à endiguer les flux» migratoires.

Sa solution: appliquer à la lettre les accords de libre circulation de Schengen, en ne laissant entrer en Grèce que les personnes qui déposent une demande d'asile. Ce qui doit permettre de lever d'ici fin 2016 les contrôles frontaliers décidés unilatéralement à l'intérieur de l'UE, puis d'expulser tous les «migrants économiques» vers la Turquie qui les renverra vers leur pays d'origine.

Reste à convaincre Ankara de tenir ses promesses, en mettant en oeuvre dès le 1er juin un accord de «réadmission» en Turquie des migrants irréguliers.

«On peut réduire le flux par des retours à grande échelle et rapides de tous les migrants» déboutés de leur demande d'asile, veut croire M. Tusk.

Les Européens veulent aussi que la Turquie renforce la lutte contre les passeurs qui trafiquent au large de ses côtes, avec l'aide de navires de l'OTAN en mer Égée.

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, s'est félicité dimanche de l'extension de ce déploiement naval qui pourra désormais «opérer dans les eaux territoriales» de la Grèce et de la Turquie, «en étroite coordination» avec ces deux pays. L'Alliance va également accroître sa coopération avec Frontex, l'agence européenne aux frontières.

La situation humanitaire reste néanmoins dramatique. Plus de 30 000 migrants demeurent bloqués en Grèce dans des conditions misérables en raison des restrictions imposées par plusieurs pays des Balkans.

Aider Athènes

L'UE doit rapidement débloquer une aide inédite (700 millions d'euros sur trois ans) pour aider Athènes, plongée dans une terrible crise économique.

Mme Merkel a jugé dimanche que «l'Union européenne doit et va soutenir la Grèce de façon solidaire».

Environ 2000 migrants continuent d'arriver chaque jour de Turquie sur les côtes grecques - trois fois moins qu'en octobre, mais «encore beaucoup trop», s'alarment les dirigeants européens, qui craignent de nouvelles vagues lorsque le printemps rendra la traversée en mer Égée moins dangereuse.

«L'ironie de cette histoire, c'est que c'est à nous d'arrêter le flux, à nous de sauver l'UE», commente l'ambassadeur de Turquie auprès de l'UE, Selim Yenel. «Après avoir été ignorés ces 10 dernières années, on s'est soudainement souvenus de nous!».

En échange de sa coopération, Ankara a obtenu des contreparties substantielles: la suppression, peut-être dès l'automne, des visas imposés aux ressortissants turcs et surtout une relance de son processus d'adhésion à l'UE, sans oublier trois milliards d'euros d'aide pour les 2,7 millions de Syriens réfugiés dans le pays.

«Ce n'est que de l'argent gaspillé», a commenté dimanche le président tchèque Milos Zeman, connu pour ses déclarations musclées.

«La Turquie n'est ni capable ni prête à faire quoi que ce soit des migrants», a estimé le chef de l'État tchèque.

Les 28 profiteront également de leur sommet lundi pour tenter de remettre un peu de discipline collective au sein du bloc.

Plusieurs États membres refusent toujours de mettre en oeuvre la répartition de 160 000 réfugiés au sein de l'UE, agréée en septembre pour soulager la Grèce et l'Italie.