À 13 ans, Amran Alokozaï vit seul dans un abri de toile et de planches en plein milieu de «la jungle» de Calais depuis quatre mois.

Son père : «Fini.» Il utilise le même mot pour parler de la petite somme qu'il avait en poche en quittant sa mère, restée dans l'est de l'Afghanistan. «Fini.»

Chaque soir ou presque, avec un cousin du même âge, il tente de passer en Angleterre en s'accrochant à un camion qui s'engouffrera dans le tunnel sous la Manche. S'il réussit, il doit appeler le numéro qu'on lui a donné. Un «oncle» devrait venir le chercher.

«Il y a des Afghans qui me donnent à manger. Et je vais à Salam», une soupe populaire du camp, explique-t-il, à moitié monté sur un vélo pour femme. Un peu plus loin, il ouvre la porte de sa minuscule cabane, trempée par la pluie qui tombe depuis quelques jours. Il passe la main sur un tapis violet devenu brun. «Il y a de l'eau partout.»

Son sort est celui de centaines de mineurs non accompagnés qui vivent dans «la jungle» de Calais, ce camp de réfugiés improvisé dans le nord-est de la France.

Au début de la semaine, les associations d'aide aux réfugiés ont compté 293 jeunes dans cette situation, seulement pour la moitié sud du camp.

Lundi, la plus haute fonctionnaire de l'État français responsable des droits des enfants s'est dite scandalisée après une visite de «la jungle». Elle y a vu un enfant de seulement 7 ans, sans famille sur place. «La réalité dépasse ce qu'on pouvait imaginer», a asséné Geneviève Avenard, qui s'oppose justement à l'évacuation et à la démolition de la partie sud du camp, décrétée par les autorités. 

TENTATIVES DE PASSAGE AU ROYAUME-UNI

Dans les rues boueuses de «la jungle», passé midi, on croise de jeunes adolescents partout. Plus tôt, ils se reposent de leurs tentatives de passage de la nuit précédente.

Sur la voie principale, deux d'entre eux tirent avec force sur une poignée de l'automobile de bénévoles retournant vers le Royaume-Uni. Leur visage est moqueur, alors que le bénévole anglais n'entend manifestement pas à rire en retenant la portière de toutes ses forces. Une tentative comme une autre de passer la cinquantaine de kilomètres d'eau qui séparent les deux pays.

Mirwais, un Afghan de 15 ans à la moustache naissante, préfère encore la méthode traditionnelle. «Les stationnements de camions», explique-t-il, avec l'aide d'un jeune compatriote plus habile que lui en anglais. Entre les génératrices bruyantes qui alimentent les petits commerces du centre de «la jungle», Mirwais a aperçu des espadrilles marine attachées par les lacets au grillage d'une devanture de fortune. Un atout pour fuir la police ou un routier en colère ? 10 euros. Trop cher. «Pas d'argent.»

Comme Amran, il vit dans le camp depuis quatre mois. Comme Amran, aucun adulte de sa famille n'a fait le voyage avec lui.

«Les chiffres sont choquants et c'est honteux que ces jeunes ne soient pas pris en charge», s'insurge Alison Moriarty, avant d'être interrompue : une mère réclame du lait maternisé pour son bébé de 3 mois.

«CE SONT DES RESCAPÉS DE GUERRE»

Avec d'autres femmes, la Britannique oeuvre au sein du Women's and Children's Center, un groupe indépendant qui s'est installé dans une grosse tente jaune et rouge. À l'entrée, un panneau indique que seuls les femmes et les enfants sont les bienvenus. Les autres - même les candidats au bénévolat - sont priés d'attendre au pas de la porte. Ou de la vague clôture qui en tient lieu.

«Quand on qualifie un jeune de "non accompagné", cela signifie qu'aucun adulte n'en a la responsabilité», explique Mme Moriarty.

La bénévole ajoute qu'un adolescent de 15 ans est récemment mort dans un camion réfrigéré en tentant d'atteindre le Royaume-Uni.

Zimako Jones essaie aussi d'encadrer un tant soit peu la vie de ces jeunes. Avec des bénévoles, le Nigérian a créé l'École laïque du chemin des Dunes. Chaque matin, des institutrices tentent de rapailler quelques jeunes pour une activité à saveur pédagogique. Il y en avait 12 mardi, se réjouit-il.

«On a eu un enfant de 6 ou 7 ans qui est venu à l'école. Un Kurde. On a appris qu'il n'avait pas ses parents ici. Je ne sais pas comment il a fait», affirme M. Jones, assis dans l'une de ses salles de classe. «Ce sont des rescapés de guerre. On essaie de leur donner un peu de plaisir, un peu de sourires.»