L'arrivée de trois millions de migrants et réfugiés dans l'UE d'ici 2017 devrait avoir un impact «faible, mais positif» sur la reprise économique, a estimé jeudi Bruxelles, adressant un message politique à tous les détracteurs de la politique d'accueil des réfugiés.

C'est la première fois que la Commission européenne évalue dans ses prévisions les effets de l'immigration sur l'économie, alors que l'Europe est confrontée à un afflux sans précédent de demandeurs d'asile cette année.

«Au total, trois millions de personnes supplémentaires devraient arriver dans l'Union européenne» de 2015 à 2017, fuyant la guerre et la pauvreté qui sévissent dans différents pays dont la Syrie, prédit la Commission européenne, dans son rapport de plus de 200 pages de prévisions économiques.

Battant en brèche toutes les critiques à l'encontre de l'immigration, le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a estimé que la venue de réfugiés en Europe devrait avoir «un impact sur la croissance économique qui serait faible, mais positif pour l'UE dans son ensemble».

Cette évaluation «vient combattre un certain nombre d'idées reçues», a poursuivi M. Moscovici lors d'une conférence de presse, citant notamment les craintes soulevées «d'un impact négatif sur la croissance ou d'évictions sur le marché du travail».

Elle «conforte la politique du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker», qui plaide pour la solidarité vis-à-vis des migrants, a-t-il ajouté.

Après une croissance de 1,6 % cette année dans la zone euro, Bruxelles table sur 1,8 % pour 2016, révisant très légèrement à la baisse sa prévision de printemps (+1,9 %). Pour 2017, elle mise sur 1,9 % de croissance.

Pour les 28 pays de l'UE, la croissance devrait s'élever à 1,9 % cette année, puis 2,0 % en 2016 et 2,1 % en 2017. «L'économie européenne reste sur une trajectoire de reprise», a souligné M. Moscovici.

Politiques d'intégration

Trois facteurs temporaires soutiennent la croissance actuellement, a relevé de son côté le vice-président de la Commission européenne responsable de l'Euro, Valdis Dombrovskis : «le faible niveau des prix du pétrole, la baisse du taux de change de l'euro et la politique monétaire accommodante de la BCE», destinée à stimuler l'économie.

Par ailleurs, «la zone euro a résisté à des facteurs extérieurs tels que le ralentissement du commerce mondial, ce qui est encourageant», a-t-il noté.

La décrue du chômage, quoique lente, devrait se poursuivre : pour la zone euro, Bruxelles table désormais sur un taux de 10,6 % pour 2016 (chiffre légèrement révisé à la hausse par rapport au printemps : 10,5 %), après 11 % en 2015. En 2017, la Commission s'attend à 10,3 %.

Et dans l'UE, le taux de chômage devrait s'établir à 9,5 % cette année, puis à 9,2 % en 2016 et 8,9 % en 2017.

En prenant en compte les dépenses publiques et l'apport de main-d'oeuvre supplémentaires, M. Moscovici a estimé que l'impact de l'arrivée des migrants devrait apporter «0,2 à 0,3 %» de croissance «d'ici 2017» pour l'ensemble de l'UE.

Il a toutefois souligné que cet effet positif dépendrait des politiques d'intégration pour faciliter l'accès au marché du travail. Et bien entendu, il serait «plus important pour les pays d'accueil».

En tête de ceux-ci, l'Allemagne, première économie européenne, qui a enregistré depuis le début de l'année un nouveau record de 758 473 migrants comptant demander l'asile, selon des chiffres jeudi.

D'après les prévisions de Bruxelles, la croissance allemande s'élèverait à 1,7 % en 2015 et atteindrait 1,9 % en 2016, comme en 2017. Son taux de chômage augmenterait légèrement : 4,7 % en 2015, 4,9 % en 2016 et 5,2 % en 2017.

Alors que la chancelière Angela Merkel est de plus en plus critiquée dans son pays pour sa politique de solidarité vis-à-vis des réfugiés, en particulier venant de Syrie, le débat s'est en tous les cas ouvert dans les milieux économiques et journaux allemands.

Certains voient comme une aubaine cette arrivée de main-d'oeuvre jeune dans un pays de plus en plus grisonnant, d'autres estiment en revanche leur poids trop lourd pour les finances publiques, qui sont excédentaires et devraient le rester ces deux prochaines années, selon Bruxelles.

600 000 arrivées prévues cet hiver

«Entre novembre 2015 et février 2016, le HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) anticipe qu'il pourrait y avoir en moyenne 5000 arrivées par jour depuis la Turquie, provoquant un total de 600 000 arrivées en Croatie, en Grèce, en Serbie, en Slovénie et dans l'ancienne république yougoslave de Macédoine», indique l'agence onusienne dans un rapport présentant les besoins financiers pour cet hiver en Europe.

Jusqu'à présent, les Nations unies prévoyaient jusqu'à 700 000 personnes cherchant sécurité et protection internationale en Europe pour toute l'année 2015, et au moins autant en 2016.

«Compte tenu de la volatilité et de la situation, dans les prochaines semaines les itinéraires de voyage pourraient changer, conduisant à une augmentation du nombre de pays touchés», relève le HCR, qui estime la situation «extrêmement complexe».

Le Haut-Commissariat considère maintenant que des pays comme l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, l'Italie, le Monténégro, la Roumanie et le Kosovo risquent à leur tour d'être affectés par cette crise migratoire jamais vue en Europe depuis 1945.

Au total, plus de 752 000 migrants et réfugiés sont arrivés en Europe cette année et 3440 sont morts ou portés disparus lors de la traversée de la Méditerranée, selon le HCR. Plus de 608 000 sont arrivés en Grèce, et quelque 140 200 en Italie.

Actuellement, quelque 4,29 millions de Syriens sont réfugiés dans les pays voisins, dont 2,18 millions en Turquie et plus d'un million au Liban.

Pour répondre aux besoins de l'ensemble des pays cet hiver, le HCR demande 96,15 millions de dollars supplémentaires, ce qui élève le total de ses besoins financiers pour cette crise à 172,72 millions de dollars.

Ces fonds permettront aux travailleurs humanitaires d'envoyer de l'aide (mise aux conditions hivernales des abris, distribution de vêtements, de nourritures, de boissons chaudes, transport des personnes...) dans les pays concernés par l'arrivée des migrants.

«Plusieurs mois après le début de la crise, le nombre de personnes qui se déplacent le long de la route des Balkans continue d'augmenter. Malgré le début de l'hiver, on ne prévoit pas que ces mouvements vont diminuer», explique le HCR.

«Pour ceux qui continuent d'arriver en Europe, les conditions hivernales froides et humides ne vont qu'exacerber les conditions déjà dures, et pourraient conduire à de nouvelles pertes de vie si des mesures ne sont pas prises de toute urgence», ajoute-t-il.