Au bord de la saturation, l'Allemagne a réintroduit dimanche les contrôles à ses frontières pour «contenir» l'afflux de dizaines milliers de réfugiés, suspendant la libre circulation dans l'espace européen, à la veille d'une réunion qui s'annonce difficile à Bruxelles des ministres de l'Intérieur des 28 consacrée aux quotas.

Le flux de migrants ne tarit pas et continue à susciter des drames aux portes du continent : 34 personnes, dont quatre bébés et 11 enfants, sont morts noyés dimanche en Méditerranée, dans le naufrage de leur embarcation au large de l'île grecque de Farmakonis, à 15 km des côtes turques.

«L'Allemagne introduit provisoirement des contrôles à ses frontières, en particulier avec l'Autriche», point de passage privilégié des réfugiés vers l'Allemagne, a déclaré à la presse le ministre allemand de l'Intérieur, Thomas de Maizière à Berlin.

Ces deux pays appartiennent à l'espace Schengen qui fonctionne comme un espace unique sans contrôle obligatoire des frontières internes.

Dans la soirée, plusieurs centaines de policiers (1200 selon le quotidien allemand Bild Zeitung) ont commencé à se déployer le long de la frontière. Ils contrôlaient systématiquement voitures et passants, a constaté l'AFP au point de passage bavarois de Freilassing, qui fait face à Salzbourg en Autriche.

Sur place, trois réfugiés syriens exténués sont stoppés net par les policiers allemands. «Nous marchons depuis 22 jours à travers l'Europe», explique à l'AFP Hatem Ali Ahaj, 27 ans. La police leur demande de rester sur le bord de la route en attendant une décision sur leur sort, a observé l'AFP.

Durcissement 

L'annonce de Berlin marque un net durcissement de la position allemande.

Le pays avait décidé fin août de faire une entorse aux règles européennes au profit notamment des Syriens fuyant la guerre et qui, entrés illégalement, n'ont plus été renvoyés dans leur pays d'arrivée dans l'UE.

Cette mansuétude est désormais remise en cause. Les demandeurs d'asile doivent comprendre «qu'ils ne peuvent se choisir les États où ils chercheront protection», a prévenu le ministre allemand, alors que son pays attend 800 000 demandeurs d'asile cette année.

Berlin entend en revenir à une stricte application des règles européennes: les demandes d'asile doivent être déposées dans le premier pays d'entrée de l'UE.

Sur ce point Berlin a reçu le soutien de Paris, qui a appelé au «respect scrupuleux par chacun des pays de l'Union européenne des règles de Schengen». «C'est faute de leur respect que l'Allemagne a décidé d'établir temporairement des contrôles à ses frontières», a déclaré le ministre français de l'Intérieur.

Le trafic ferroviaire entre l'Allemagne et l'Autriche a été suspendu.

La République tchèque a elle aussi annoncé le renforcement des contrôles à sa frontière avec l'Autriche, tout comme la police hongroise qui a déclaré l'«état d'alerte» pour ses effectifs dans le sud et l'ouest du pays, frontaliers de l'Autriche et de la Slovénie.

La chancelière allemande Angela Merkel, après avoir fait montre de générosité, a finalement effectué une volte-face en raison notamment des difficultés logistiques croissantes pour accueillir les demandeurs d'asile.

Munich, principale porte d'entrée en Allemagne, est proche de la saturation, avec 63 000 réfugiés en deux semaines arrivant par les Balkans et l'Europe centrale.

Au cours de la seule journée de samedi, quelque 13 000 demandeurs d'asile ont été comptabilisés dans la capitale bavaroise - soit autant qu'un précédent record remontant au 6 septembre - et encore 3000 de plus jusqu'à dimanche 16h00.

La ville est à «l'extrême limite» de ses capacités, selon les autorités locales: au cours du week-end, des dizaines de demandeurs d'asile ont dû dormir dehors sur des matelas isotherme et avec des couvertures, faute de place dans les foyers.

Les autorités locales envisageaient même, avant la réintroduction des contrôles aux frontières, de réquisitionner le stade olympique de la métropole, où ont eu lieu les JO d'été de 1972, pour des hébergements.

Urgence d'un plan européen 

Réagissant au durcissement de la position de Berlin, la Commission européenne a jugé que cette annonce «soulignait l'urgence» de parvenir à un plan européen de répartition des nouveaux arrivants.

Elle est en effet survenue à la veille d'une réunion extraordinaire des ministres de l'Intérieur de l'UE à Bruxelles, où sera discutée la répartition des réfugiés par quotas, voulue par l'Allemagne et la Commission, qui exhorte les pays européens à se répartir l'accueil de 160 000 réfugiés au total.

Les discussions s'annoncent compliquées. A l'instar de la plupart des pays de l'Est de l'Europe, la Slovaquie a réitéré dimanche son opposition à un tel système, assurant qu'elle allait «faire tout (...) pour convaincre l'Europe que les quotas sont un non-sens».

Dimanche soir, une réunion technique destinée à préparer ces entretiens s'est tenue à Bruxelles et a dû être ajournée à lundi matin après plus de quatre heures de discussions, a indiqué une source européenne sous couvert de l'anonymat.

Porte-drapeau de la ligne dure face au flux de migrants, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a salué comme «nécessaire» la décision de l'Allemagne.

La Hongrie a enregistré samedi un nouveau record d'arrivées, avec 4330 entrées.

Des milliers de migrants se sont livrés ce week-end à une véritable course contre la montre pour tenter de gagner le pays, avant la fermeture hermétique avec la Serbie à l'aide de barbelés. Ils rejoignaient la frontière en marchant à pied, côté serbe, le long d'une voie ferrée jonchée de détritus abandonnés par ceux qui les ont précédés.

L'espace Schengen, un espace sans frontières... sauf exceptions

L'espace Schengen, l'un des acquis les plus concrets de l'Union européenne, est une zone de libre circulation où les contrôles aux frontières ont été abolis pour les voyageurs, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

Il est actuellement composé de 26 pays, dont 22 membres de l'UE (la Bulgarie, la Roumanie, Chypre, la Croatie, l'Irlande et la Grande-Bretagne n'en font pas partie), et quatre non membres (l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse).

Ce vaste espace s'est construit très progressivement à partir de 1985, date d'un accord conclu entre quelques gouvernements européens dans la localité luxembourgeoise de Schengen.

Concrètement, à l'intérieur de cette zone, les citoyens de l'UE, comme les ressortissants de pays tiers, peuvent voyager librement sans subir de contrôles aux frontières.

À l'inverse, un vol au sein de l'UE reliant un Etat Schengen à un autre non Schengen est soumis à des contrôles aux frontières.

L'effacement des frontières intérieures a eu pour corollaire un renforcement des frontières extérieures de l'espace Schengen: les États membres se trouvant à ses confins ont ainsi la responsabilité d'organiser des contrôles rigoureux à ces frontières et de délivrer le cas échéant des visas de court séjour aux personnes s'y introduisant.

L'appartenance à Schengen implique aussi une coopération policière entre tous les membres pour lutter contre la criminalité organisée ou le terrorisme, avec notamment un partage de données, comme le système d'information Schengen (SIS).

L'une des illustrations de cette coopération policière est ce qu'on appelle «la poursuite transfrontalière», c'est-à-dire le droit pour la police d'un Etat Schengen de poursuivre des personnes dans un autre, en cas de flagrant délit pour des infractions graves.

Même si les frontières intérieures ne devraient plus exister que sur le papier dans l'espace Schengen, ses membres ont toutefois la possibilité de rétablir des contrôles exceptionnels et temporaires.

Ils doivent être justifiés par une «menace grave pour la sécurité» ou des «défaillances graves aux frontières extérieures, susceptibles de mettre en danger le fonctionnement global de l'espace Schengen», selon un document de la Commission européenne.

La décision de l'Allemagne de réintroduire des contrôles à ses frontières, notamment avec l'Autriche, pour faire face à l'afflux de migrants, semble «de prime abord» correspondre à cette règle, a prudemment réagi dimanche la Commission.