De nombreux groupes et organismes ont joint leur voix à celle de la famille Kurdi, hier, pour dénoncer la lourdeur et la complexité du programme de parrainage privé des réfugiés du Canada.

Dans sa lettre envoyée en mars au ministre de l'Immigration Chris Alexander, Teema Kurdi, la tante du petit Aylan, dont le cadavre a été photographié face contre terre sur une plage de Turquie, avait dénoncé l'exigence d'obtenir le statut de réfugié auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), un statut impossible à obtenir par les Syriens en Turquie.

Ottawa a apporté cette modification en 2012 pour exiger que la catégorie appelée G5, soit les parrainages pilotés par un groupe de cinq individus au Canada, ne vise que des personnes ayant obtenu ce statut de réfugié auprès du HCR ou d'un État étranger.

Plusieurs groupes, dont le HCR, avaient soulevé de sérieuses préoccupations au moment d'apporter ces changements: «L'obligation de fournir une preuve du statut de réfugié reconnu exclura certains réfugiés nécessitant une protection et/ou une solution durable. Dans certains pays, les réfugiés ne peuvent pas obtenir de reconnaissance, et ce, pour diverses raisons, dont le manque de ressources (dans les grands camps de réfugiés), ou pour des raisons d'ordre politique», peut-on lire dans un rapport de consultation publié dans la Gazette du Canada le 12 juin 2012.

C'est l'un des problèmes dénoncés par Teema Kurdi dans sa lettre du 17 mars, qu'un député de Vancouver a remise en mains propres au ministre Alexander.

Mme Kurdi y décrivait son cauchemar bureaucratique en tentant de parrainer son frère Mohammad (l'oncle du jeune Aylan).

«Il est impossible de faire sortir la famille de Turquie», a-t-elle écrit dans le document que le ministre Alexander a reconnu jeudi avoir lu. «Le Canada n'acceptera pas la demande avec les documents qui sont disponibles, et le HCR ne délivrera pas ces documents tant qu'il n'aura pas la confirmation que la famille sera admise au Canada», a-t-elle dénoncé.

La Turquie, qui a accueilli plus d'un million de réfugiés syriens depuis le début de la guerre en 2011, leur accorde une protection temporaire, de sorte que le Haut Commissariat des Nations unies ne leur accorde pas le statut de réfugié.

Sans cette reconnaissance, la demande de parrainage de Mme Kurdi lui a donc été retournée en juin. Voyant cette avenue fermée, son frère Mohammad est parti seul en Allemagne pour y demander l'asile, laissant derrière lui son épouse et ses quatre enfants. Son autre frère, Abdullah, a décidé de tenter sa chance en bateau avec sa femme et leurs deux enfants. Toute la famille, sauf le père, a péri en mer en tentant de rejoindre la Grèce.

«Problèmes systémiques»

Cette nouvelle exigence introduite pour réduire le nombre de demandes reçues par Immigration Canada est visée par les nombreuses critiques formulées hier par des intervenants, groupes et individus qui travaillent dans le domaine du parrainage de réfugiés au Québec et dans le reste du Canada.

Dans un communiqué de presse, la Canadian Refugee Sponsorship Agreement Holders Association, qui chapeaute plusieurs organismes au pays, a dénoncé la lourdeur, la lenteur et la complexité du système de parrainage privé. «Les procédures de parrainage doivent être rapides et efficaces pour que des vies ne soient pas perdues dans la situation actuelle de tracasseries administratives», a tranché l'organisme.

«Le système ne fonctionne pas en ce moment», a renchéri Tom Denton, directeur général au Hospitality House Refugee Ministry à Winnipeg, qui traite plus de 1200 demandes de parrainage par année. «Ce n'est pas seulement une question de chiffres ou du nombre de personnes que le gouvernement fera venir au pays - ce qui se transforme en surenchère entre les chefs de partis... C'est aux problèmes systémiques que l'on doit remédier.»

Les problèmes dénoncés sont nombreux et ils tiennent notamment à une paperasse démesurée, aux délais trop longs, à un manque de ressources généralisé et è l'insensibilité perçue du gouvernement Harper à l'égard des réfugiés, sentiment illustré selon divers intervenants par la décision de couper les services de soins de santé destinés aux réfugiés.

Le Québec plus tolérant

Ces problèmes touchent aussi le Québec, mais dans une moindre mesure, puisque la province a usé de sa prérogative en matière d'immigration et refusé d'exiger la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR pour les parrainages par des groupes de cinq personnes. «La majorité des dossiers que l'on voit ici ne seraient pas acceptés dans le système canadien», a noté Paul Clark, directeur général de l'organisme Actions réfugiés Montréal.

Le ministère de l'Immigration du Canada n'a pas répondu aux questions de La Presse. En réponse aux préoccupations formulées dans la Gazette du Canada de juin 2012, le Ministère avait fait valoir que les réfugiés peuvent tenter de passer par d'autres avenues d'immigration s'ils n'obtiennent pas leur statut de réfugié du HCR, et que des directives pourraient être publiées à l'occasion pour modifier la liste des «documents acceptables».