Sur 4,1 millions de réfugiés syriens répartis dans le monde entier, le Canada projette d'en accueillir jusqu'à 11 300. Ceux qui s'intéressent à la question notent que c'est plus que beaucoup de pays occidentaux, mais néanmoins trop peu, trop tard, trop lentement.

Le téléphone d'Action réfugiés sonne sans cesse ces jours-ci. «Des gens nous appellent de partout pour nous dire qu'ils veulent parrainer des réfugiés syriens, et ce, même s'ils ne connaissent personne en Syrie. Je n'ai jamais vu ça», dit Paul Clarke.

Le directeur de l'organisme abrité par une église anglicane de la rue Sainte-Catherine est touché par cet élan de générosité qui lui rappelle l'accueil que les Québécois ont réservé aux réfugiés de la mer dans les années 70 et 80.

Le problème, cependant, est que son organisme n'a pas les effectifs pour répondre à la demande. «Avec le budget qu'on a, nous avons un seul employé qui s'occupe du parrainage privé des réfugiés. Il a réussi à monter 67 dossiers l'an dernier et il en fera 72 cette année. Nous avons plus de 200 personnes sur la liste d'attente. Si les gens doivent attendre jusqu'en 2020 pour faire venir les gens, ces derniers risquent de mourir avant d'arriver», se désole l'ancien banquier qui a récemment changé de vocation.

Le gouvernement du Canada, qui a promis d'accepter 11 300 réfugiés syriens d'ici la fin de 2017, compte pourtant sur des organismes comme Action réfugiés pour atteindre son objectif. L'administration Harper s'attend à ce que les deux tiers de ce nombre soient parrainés par le privé, plutôt que d'être pris en charge par le gouvernement.

Cher et lent

À ce jour, 2374 réfugiés syriens sont arrivés au pays. De ce nombre, 72% ont fait l'objet d'un parrainage privé.

Ces parrainages, uniques au monde, sont onéreux. Pour une famille de deux parents et deux enfants, les «parrains» canadiens doivent prouver qu'ils peuvent débourser 30 000$ par année pour accompagner les nouveaux venus. Le processus souffre aussi de lourdeur administrative, note Alexandra Kotyk, de l'organisme Lifeline Syria.

Mis sur pied par un ancien maire de Toronto et l'Université Ryerson, Lifeline Syria offre des formations et assiste les Canadiens qui veulent épauler des réfugiés. «C'est compliqué et ça prend du temps. Pour que ça fonctionne, il va falloir que le gouvernement soit plus souple et accélère la cadence», dit la gestionnaire du projet. Un parrainage peut actuellement s'étirer sur plusieurs années.

«La réponse du Canada est meilleure que celle de beaucoup de pays occidentaux, mais si on observe notre histoire, ce n'est pas assez. On peut faire beaucoup plus», ajoute Mme Kotyk.

Revoir les cibles

Sommité mondiale en matière de réfugiés et professeur émérite de l'Université York, Howard Adelman ne décolère pas à l'égard du gouvernement Harper. «L'objectif de 11 300 réfugiés sur trois ans est une farce! Nous pourrions en faire venir 15 000 demain matin à partir des camps de réfugiés [au Moyen-Orient]. À terme, le Canada pourrait en prendre jusqu'à 100 000», s'insurge-t-il. La promesse électorale des conservateurs d'ouvrir les portes à 10 000 réfugiés syriens et irakiens de plus l'impressionne bien peu.

Howard Adelman croit que le gouvernement actuel a rejeté sur les citoyens canadiens ses responsabilités à l'endroit des personnes en quête de protection. «En ce moment, le gouvernement demande au privé de se charger des parrainages, mais ne donne aucun soutien et ne montre aucun leadership», tonne le philosophe retraité, joint chez lui à Toronto.

Selon l'expert, le Canada a à sa portée plusieurs options. Il a lui-même suggéré d'accorder rapidement des permis de travail temporaires à des réfugiés syriens en Nouvelle-Écosse. «Il y avait beaucoup d'enthousiasme pour ce projet, même du côté des fonctionnaires, mais il n'y avait aucune volonté politique», se désole-t-il.

Il croit aussi que le gouvernement pourrait être plus généreux à l'égard des pays limitrophes de la Syrie - dont la Turquie, le Liban et la Jordanie -, qui accueillent à eux seuls plus de 80% des 4,1 millions de réfugiés syriens. «Ces pays ont assumé plus que leur part. Nous devons les décharger et les épauler», dit M. Adelman.