Le monde des médias américains a été pris de court par une nouvelle-choc, hier: le PDG et fondateur d'Amazon.com, Jeff Bezos, a annoncé qu'il achetait le Washington Post.

M. Bezos, dont la fortune est évaluée à 25 milliards de dollars, paiera 250 millions pour acquérir le quotidien de Washington, pilier du journalisme américain fondé il y a 135 ans.

Dans une lettre aux employés du journal, M. Bezos a dit comprendre que le changement de propriétaire puisse causer de «l'appréhension» dans les rangs du Post.

«Les valeurs chères au journal ne changeront pas, a-t-il écrit. Je ne m'occuperai pas de diriger le Washington Post au jour le jour. J'habite dans [l'État de] Washington, où j'occupe un boulot que j'aime.»

Plus loin, M. Bezos, âgé de 49 ans, parle de l'importance de guider le journal dans les transformations du paysage médiatique à l'ère d'Internet.

«Personne n'a de carte, et trouver le chemin à suivre ne sera pas une mince tâche. Nous allons devoir inventer, ce qui veut dire expérimenter, en gardant toujours nos lecteurs comme guides. Je suis emballé et optimiste devant ce défi.»

Le Washington Post a obtenu 47 prix Pulitzer depuis sa fondation, et est encore aujourd'hui reconnu pour la publication des scoops sur le scandale du Watergate, qui avait culminé par la démission du président Nixon, en août 1974.

Jeff Bezos achète le journal à titre d'investisseur privé. Le Washington Post sera dirigé par une entité distincte de celle qui dirige Amazon.com.

Famille Graham

Le Washington Post était jusqu'ici une compagnie publique dont les actions étaient échangées à la Bourse de New York. L'entreprise est depuis des décennies dirigée par la famille Graham, actionnaire majoritaire, dont l'histoire est intimement liée à l'évolution du journal depuis quatre générations.

Dans un article publié sur le site du Post hier, le journaliste Paul Farhi écrit que c'est la famille Graham qui a décidé d'explorer la vente du journal en approchant secrètement plusieurs acheteurs potentiels.

Le patron de la maison mère, The Post Company, Don Graham, a déclaré que la décision de vendre n'est pas venue facilement. «Chacun des membres de ma famille a eu la même réaction quand l'option de la vente a été soulevée pour la première fois: le choc, a-t-il dit. Mais quand l'idée d'une transaction avec Jeff Bezos est arrivée sur la table, cela a changé mon opinion.»

Hier, les journalistes du Washington Post ont dit être abasourdis par la nouvelle. Sur son blogue, le journaliste du Post Ezra Klein s'est dit «sous le choc».

«Donald Graham a dit que la décision de vendre vient d'un calcul simple: le Washington Post est une société par actions qui ne possède pas des coffres inépuisables. Les propriétaires entrevoyaient une continuation des coupes... L'implication ici est que Bezos n'a pas à faire de coupes et n'en fera pas, bien que personne ne sache vraiment.»

Les réactions ont été nombreuses hier dans le monde des médias américains. Jusqu'ici, les commentateurs semblent s'entendre pour dire que l'achat du Post par M. Bezos est un développement majeur et en apparence positif. Jeff Bezos ne fait pas valoir ses idées politiques sur la place publique: il a déjà donné de l'argent à des démocrates et à des républicains, ainsi qu'à la cause de la légalisation du mariage gai.

«Nous, dans le monde du journalisme, avons besoin de faire un meilleur travail pour nous adapter aux nouvelles plateformes, et Bezos est passé maître dans cet art, a écrit le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof sur le site de microblogues Twitter. Il pourrait apporter des idées fraîches.»