Il y a encore deux mois, le milliardaire russe Mikhaïl Prokhorov n'avait aucunement l'intention de se lancer en politique. Aujourd'hui, il prendra pourtant la tête d'un parti moribond loyal au Kremlin. C'est que dans un pays où les gens d'affaires sont vulnérables à l'arbitraire du pouvoir, l'appel à servir le régime est une offre qu'on ne peut refuser, explique notre collaborateur.

Moscou «Quand j'ai su qu'on me voyait comme un candidat potentiel à ce poste, honnêtement, je n'étais pas du tout prêt. Je croyais que c'était une blague.» C'est par cet aveu candide que l'oligarque Mikhaïl Prokhorov a annoncé en mai qu'il accepterait de prendre la direction du parti Cause juste lors d'un congrès extraordinaire organisé pour le couronner.

Le magnat de la métallurgie de 46 ans - troisième fortune de Russie selon Forbes avec (18 milliards) - s'est donné un défi colossal: faire de Cause juste le deuxième parti en importance à la Douma (Chambre basse) aux législatives de décembre prochain. Or, actuellement, le parti n'y détient aucun siège et n'en a décroché qu'une poignée dans des parlements régionaux. La moitié des Russes ignorent jusqu'à l'existence de cette petite formation de droite créée en 2008 et censée défendre les intérêts de la communauté d'affaires. Les sondages aussi sont catastrophiques: elle recueille de 0,2 à 1% des intentions de vote.

«L'opposition loyale»

Le pari de Prokhorov semble donc risqué. Le dernier milliardaire à avoir osé flirter avec l'opposition en Russie... croupit en prison depuis 2003. Reconnu coupable d'évasion fiscale et de vol de pétrole, l'oligarque déchu Mikhaïl Khodorkovski ne devrait en sortir qu'en 2017. Quelques mois avant son arrestation, il avait critiqué avec virulence les politiques du président d'alors, Vladimir Poutine, aujourd'hui premier ministre. Il avait aussi commencé à financer des partis de l'opposition. Ses deux procès ont d'ailleurs été dénoncés comme politiques par les pays occidentaux et les organisations de défense des droits de la personne.

Mais Prokhorov n'a pas l'intention de suivre les traces de Khodorkovski. C'est pourquoi il a choisi de diriger une formation de «l'opposition loyale», expression utilisée par les analystes russes pour décrire ces partis dociles qui donnent une apparence de démocratie au pays sans pour autant contester l'hégémonie du parti majoritaire Russie unie, dirigé par Vladimir Poutine.

Salué par le Kremlin

Mikhaïl Prokhorov assure que sa décision de se lancer en politique n'a pas été prise après consultation avec le Kremlin. Toutefois, sa candidature a été reçue positivement par le président actuel Dmitri Medvedev, qui s'est réjoui lundi dans le Financial Times de voir un «homme nouveau» prendre la direction de Cause juste.

Autre signe de loyauté, Prokhorov - qui est aussi propriétaire de l'équipe de basketball des Nets de New York - n'a toujours pas osé critiquer l'ordre établi. Ou si peu. Le 17 juin, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, il a estimé que la «verticale du pouvoir» développée par Poutine afin de centraliser les décisions à Moscou s'était révélée efficace, mais avait désormais fait son temps. Coïncidence ou non, le lendemain, le fisc d'un district de Sibérie, où est officiellement domicilié le milliardaire, a annoncé avoir l'intention de le poursuivre pour arriérés d'impôts...

«Prokhorov vient de faire son entrée dans la vraie vie politique», a ironisé à ce sujet le journal économique Kommersant.