En Russie, la chasse aux gyrophares est ouverte. Frustrés de voir les riches et puissants bafouer le code de la route en toute impunité grâce à un petit gyrophare bleu sur le toit de leur voiture, des automobilistes ont décidé d'agir. Ils recueillent des preuves des infractions routières de l'élite pour forcer les autorités à les punir comme de simples mortels.

Un jour de la fin avril 2010, alors qu'il se baladait dans la rue, Piotr Chkoumatov a bien failli y passer. Un pas de plus et il était heurté de plein fouet par une Mercedes à gyrophare roulant à toute vitesse. Au final, il en aura été quitte pour un violent coup de rétroviseur. Et un autre, encore plus fort, à sa conscience sociale.

«Presque instantanément, ma vision du monde a changé. J'ai remis en question mes priorités et les activités qui valaient la peine que je leur consacre du temps», explique l'informaticien de 32 ans. En fait, cet incident lui a fait comprendre que quelque chose ne tourne pas rond en Russie: le chauffeur de la Mercedes n'a même pas daigné s'arrêter, et un témoin de la scène lui a vite fait comprendre qu'il ne dénoncerait jamais un détenteur de gyrophare, de peur des représailles.

M. Chkoumatov a compris qu'il devait faire quelque chose. Désormais, il combattrait les privilèges des puissants sur la route. Justement, deux semaines plus tôt, d'autres citoyens indignés avaient fondé la Société des petits seaux bleus (à cause de la forme des gyrophares, semblable à celle des seaux pour enfants).

Leur blogue, qui compte aujourd'hui plus de 5000 membres-collaborateurs, a un objectif simple: recenser et, surtout, prouver par des vidéos et des photos les infractions au code de la route commises par les quelque 7000 voitures de fonctionnaires, agents des services de sécurité et autres privilégiés équipées d'un gyrophare au pays.

Mikhalkov se fait pincer

Au début du mois, le célèbre réalisateur Nikita Mikhalkov (Oscar du meilleur film étranger en 1995 pour Soleil trompeur) a ainsi été immortalisé alors que, à bord de sa jeep, il traversait les lignes doubles pour dépasser.

Quelques jours auparavant, l'artiste, très proche du régime, avait pourtant rendu sa migalka (son gyrophare) en quittant ses fonctions de président de l'obscur Conseil de la société civile au ministère de la Défense. Il avait alors promis de respecter le code de la route. Loin de se montrer repentant après avoir été pris en flagrant délit, il s'est plutôt justifié en expliquant qu'il avait «du travail par-dessus la tête».

La semaine dernière, un membre du bureau de presse du président Medvedev a quant à lui été filmé en train de sortir de sa voiture, gyrophare sur le capot, alors qu'il revenait... du supermarché avec sa femme.

Pour Piotr Chtoumakov, ce genre de conduite peu éthique démontre que l'élite est totalement déconnectée de la réalité de la plèbe. «Ceux qui sont censés régler les problèmes de circulation à Moscou n'ont pas à les endurer. Le jour où ils devront attendre comme tout le monde dans les embouteillages, ils commenceront à chercher de vrais moyens pour les enrayer.»

«Aujourd'hui, avoir un gyrophare est prestigieux puisque c'est le symbole de l'élite, poursuit le coordonnateur de la Société des petits seaux bleus. Mais on doit faire en sorte que ça devienne inconfortable et honteux.»