L'an dernier, un mystérieux virus informatique s'est attaqué aux installations nucléaires iraniennes. Cette semaine, un général israélien a revendiqué la création du virus ultrasophistiqué, baptisé Stuxnet. Selon les experts, il s'agit de la première salve dans une nouvelle ère de guérilla virtuelle.

Le virus serait entré en Iran caché dans une clé USB. Celle-ci a été apportée aux installations d'enrichissement d'uranium de Natanz, à trois heures de route au sud de Téhéran, lieu que les États-Unis et Israël rêvent de voir réduit en poussière.

Quelqu'un a branché la clé dans un ordinateur roulant sur Windows. Le virus s'est réveillé.

Ce qui s'est passé ensuite est difficile à confirmer. Selon les experts américains, le virus, baptisé Stuxnet, s'est greffé au système de contrôle Siemens des 10 000 centrifugeuses enrichissant de l'uranium. Pendant un certain temps, Stuxnet a emmagasiné de l'information sur les centrifugeuses. Puis, il s'est mis à en augmenter le rythme de rotation, tout en laissant croire aux instruments de surveillance que l'équipement fonctionnait normalement.

Le virus a causé des dommages aux installations et a ralenti les efforts du gouvernement iranien pour produire du matériel nucléaire.

Des caméras installées à Natanz par l'Agence internationale de l'énergie atomique ont montré des travailleurs iraniens à l'usine jour et nuit, durant des mois: ils remplaçaient des centrifugeuses pourtant installées récemment. Les chercheurs ne comprenaient pas pourquoi les Iraniens travaillaient aussi frénétiquement.

Le 27 septembre 2010, le chef des services des technologies de l'information du gouvernement iranien, Hamid Alipour, a déclaré: «L'attaque se poursuit toujours. Nous pensions pouvoir nous débarrasser du problème en un mois ou deux, mais de nouvelles versions du virus se répandent.»

Pour l'expert en sécurité des systèmes de contrôle Joe Weiss, également coprésident d'Applied Control Systems, société californienne établie à Cupertino, Stuxnet est la première salve d'une guérilla virtuelle du XXIe siècle.

«Cette attaque avait atteint un degré de sophistication inouï, dit-il en entrevue. Stuxnet est un programme bien trop perfectionné pour avoir été écrit par quelqu'un qui fait ça à temps perdu. C'est de toute évidence l'oeuvre d'un ou de plusieurs pays. L'objectif était clair: détruire les centrifugeuses iraniennes.»

L'origine de Stuxnet était nébuleuse, mais le mystère a été levé cette semaine, quand le général israélien Gabi Ashkenazi s'est vanté, lors d'un dîner donné en l'honneur de son départ à la retraite, d'être le «père» de Stuxnet. Des experts croient que des chercheurs américains et allemands ont aussi participé à l'élaboration du virus.

Acte de guerre

Jusqu'ici, les virus pouvaient enrayer le fonctionnement d'ordinateurs ou de réseaux informatiques. Stuxnet, en revanche, a été conçu pour causer des dommages aux installations iraniennes.

Selon David Albright, fondateur de l'Institut des sciences et de la sécurité internationale (ISIS), ce virus soulève des questions nouvelles sur la notion d'«acte de guerre».

«Le virus a été conçu pour causer des dommages bien réels. Est-ce un acte de guerre? Les pays qui sont ciblés pourraient le voir de cette façon», a-t-il dit cette semaine.

Joe Weiss dit être inquiété par ce précédent. «Il s'agit de la première attaque informatique ciblée visant à détruire un bâtiment. En plus, le programme a été conçu pour être difficilement détectable. Je parie que ce n'est pas la dernière fois que l'on entendra parler de ce genre d'attaque.»

Un rapport de l'ISIS souligne que les perturbations causées par Stuxnet ont entraîné le remplacement de 1000 centrifugeuses à Natanz, des pertes jugées «modérées». «Stuxnet n'a pas arrêté, ni même ralenti la fabrication d'uranium enrichi», conclut l'organisme.  

Or, le rapport note aussi que chaque centrifugeuse devant être remplacée affaiblit l'Iran, qui a du mal à importer ce matériel spécialisé.

La question de la sécurité des réseaux risque d'être cruciale à l'avenir. Cette semaine, le Conseil du Trésor du Canada a révélé avoir décelé une tentative d'attaque informatique survenue en janvier contre ses réseaux. L'attaque provenait de serveurs situés en Chine. Le gouvernement chinois a nié toute implication.

Lame à double tranchant

Pour Joe Weiss, le succès relatif de Stuxnet ne devrait pas monter à la tête des Occidentaux trop rapidement. Dans l'univers des attaques informatiques, dit-il, l'agresseur victorieux peut vite devenir la victime naïve.

«Les experts s'entendent pour dire que les infrastructures américaines ne sont pas bien protégées contre ce genre d'attaque, dit-il. Ça ne prendrait pas nécessairement un programme très sophistiqué pour causer des dégâts bien réels sur notre territoire.»