L'ex-président français Jacques Chirac, poursuivi dans des affaires d'emplois fictifs, échappera-t-il à la justice en raison de problèmes de santé?

Les spéculations vont bon train à ce sujet depuis quelques jours en France, où la classe politique est partagée sur l'opportunité d'inculper l'ancien chef d'État, âgé de 78 ans.

Selon le Journal du dimanche, la femme de M. Chirac, Bernadette, aurait affirmé récemment dans des entretiens privés que son mari avait les symptômes de la maladie d'Alzheimer. Mais dans une entrevue à la radio, elle a démenti ces propos et précisé que son mari entendait se présenter devant le tribunal même s'il souffre de problèmes de marche, d'audition et de mémoire.

L'ex-président a déclaré pour sa part à des journalistes qui l'attendaient devant chez lui qu'il allait «très bien».

Jacques Chirac est accusé d'avoir fait financer les salaires d'employés permanents de son parti par la Ville de Paris ou des firmes de travaux publics entre 1990 et 1995. Il encourt 10 ans de prison et une amende de 150 000. Son procès doit avoir lieu au début du mois de mars.

La députée européenne Eva Joly, ancienne juge d'instruction, avait réagi avec scepticisme la semaine dernière aux rumeurs sur l'état de santé de M. Chirac. «Le coup de la maladie de la personne inculpée, c'est très classique», a déclaré Mme Joly. Elle a donné l'exemple de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, qui avait évoqué des problèmes de santé pour échapper à la justice.

Hier, elle a souligné que Chirac devait se présenter devant les juges et réclamer un «aménagement des audiences» si son état de santé le mine vraiment.

La ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a condamné le parallèle avancé par Mme Joly et déclaré que ce procès suscitait chez elle un «malaise». «Il y a un décalage entre ce procès et ce que la France doit à l'ancien président de la République», a-t-elle dit, tout en refusant de parler de l'état de santé de Chirac.

Demande de report

Les avocats de l'ex-président, qui ont aussi écarté cette question, ont demandé en vain hier au tribunal correctionnel de Paris de reporter le procès. Ils souhaitent que la justice attende de connaître le sort de la requête d'une organisation anticorruption, Anticor, qui tente de faire invalider une entente intervenue entre Jacques Chirac, son ancien parti et Paris pour indemniser la Ville pour ces emplois fictifs.

En vertu de cette entente, Paris doit recevoir 2,2 millions d'euros pour les emplois payés inutilement. La Ville doit en contrepartie renoncer à se constituer partie civile dans le procès, ce qui risque d'affaiblir grandement la cause contre l'ancien président.

L'avocat d'Anticor, Jérôme Karsenty, a indiqué que la défense cherchait à se saisir d'un «tout petit argument» pour faire en sorte que «le procès n'ait jamais lieu».

La présidente d'Anticor, Catherine Le Guernec, estime que l'entente conclue avec la Ville est inacceptable. «Ça donne une très mauvaise image à l'ensemble des citoyens puisqu'on comprend qu'il est possible pour une personnalité influente de contourner la loi par un accord», a-t-elle souligné en entrevue.

Son organisation, qui vise à «réhabiliter l'action politique en France», estime qu'il est très important que l'ancien président réponde de ses actes devant la justice. «Il faut envoyer un message fort sur le fait que personne n'est au-dessus des lois.»

La semaine dernière, le président Nicolas Sarkozy a annoncé l'adoption avant la fin de l'année d'une nouvelle loi «sur la déontologie de la fonction publique» pour lutter contre les conflits d'intérêts.

«C'est déjà bien qu'il parle de ce sujet, mais il faudra voir comment on appliquera les dispositions de la nouvelle loi. S'il n'y a pas de moyens réels, ça ne sert à rien», conclut Mme Le Guernec.