Scandales embarrassants et réformes controversées ont contribué à maintenir la cote du fougueux chef d'État français au plus bas cette année. Notre journaliste s'est entretenu au sujet de l'année 2010 de Nicolas Sarkozy avec le journaliste Pierre Haski, l'un des fondateurs du cyberquotidien Rue89, reconnu pour ses scoops percutants.

Q: Nicolas Sarkozy peut-il tirer un bilan positif de l'année mouvementée qui se termine?

R: Non, répond sans hésiter Pierre Haski, qui parle d'une période «extrêmement négative» pour le chef d'État français. «L'année a commencé par la défaite cuisante de son parti aux élections régionales et se termine par un remaniement ministériel qui ne change rien à l'opinion», relate le journaliste. Les plus récents sondages montrent que près de 70% des Français le jugent défavorablement, ce qui le place loin derrière le premier ministre François Fillon, sorti renforcé du jeu de chaises fait il y a quelques semaines après des mois de tergiversations.

Q: Quels sont les facteurs expliquant sa faible popularité?

R: «Nicolas Sarkozy a été élu et bien élu à la présidence en 2007 avec une majorité claire et franche. Son crédit était de 100%, mais il a tout ruiné en trois ans», relève M. Haski, qui impute la baisse de la cote du président à son style ainsi qu'à son «incapacité» à réaliser des promesses importantes. Le chef d'État s'était notamment engagé à relancer le pouvoir d'achat des Français lors du scrutin, mais cet engagement est complètement disparu de son ordre du jour. Sa tâche est compliquée par la crise économique secouant la zone euro, qui limite la marge de manoeuvre du gouvernement. Il y a quelques jours, François Fillon a souligné devant des élus que le gouvernement incarnait «une politique d'efforts (...) et des réformes qui ont été construites de façon soutenue et parfois conflictuelle».

Q: Parmi ces réformes figure celle du régime des retraites, finalement adoptée à l'automne après une bataille de plusieurs mois. S'agit-il d'une victoire pour le président?

R: Malgré d'importantes manifestations, le gouvernement a maintenu le cap et fait adopter sans modifications majeures sa réforme, qui prévoit faire passer l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans d'ici 2018 tout en décalant de 65 à 67 ans l'âge requis pour disposer d'une pension complète. «Nicolas Sarkozy va pouvoir mettre ça à son actif auprès de son électorat traditionnel en vue du scrutin présidentiel de 2012, mais le reste de la population va retenir la réforme contre lui», juge Pierre Haski.

Q: Le chef d'État a-t-il souffert des affaires de corruption qui visent le gouvernement?

R: «Ça pèse lourd. Et le président lui-même n'est pas à l'abri de nouveaux rebondissements. C'est le bout de sparadrap dont on ne peut pas se débarrasser», souligne le journaliste. Plusieurs médias ont multiplié les révélations durant toute l'année relativement à l'affaire Bettencourt, du nom de la riche héritière de L'Oréal. Des enregistrements secrets ont mené à la mise au rancart de l'ex-ministre du Travail Éric Woerth, soupçonné de conflit d'intérêts. Elles ont aussi mis au jour la possibilité d'un financement illégal du parti du président, qui nie énergiquement avoir bénéficié des largesses de la famille Bettencourt lors de l'élection de 2007. La justice enquête sur le dossier. L'enquête se poursuit aussi dans l'affaire Karachi: les juges d'instruction étudient la possibilité qu'une partie des commissions versées pour assurer la vente de sous-marins au Pakistan aient pu servir à financer la campagne présidentielle de 1995 de l'ex-premier ministre Édouard Balladur. Nicolas Sarkozy peut être éclaboussé puisqu'il était un des proches collaborateurs du candidat à l'époque.

Q: L'année a aussi été marquée par le retour en force de l'extrême droite, qui risque de poser problème pour le président à la prochaine élection présidentielle. Que s'est-il passé?

R: «Lors du scrutin de 2007, le président pouvait se féliciter à juste titre d'avoir réussi à ramener le Front national à son niveau le plus bas en 20 ans. Mais les partisans d'extrême droite qu'il a attirés dans son giron sont repartis déçus», note M. Haski. La tendance s'explique en partie par le charisme de Marine Le Pen, en bonne position pour succéder à son père. En guise de réponse, le président a tenté de hausser le ton sur les questions sécuritaires durant l'été en ciblant les Roms par une politique d'expulsion controversée, mais l'approche n'a pas fait bouger sa cote de popularité.

Q: Nicolas Sarkozy peut-il espérer rebondir à temps pour l'élection présidentielle de 2012 et obtenir le second mandat qu'il convoite?

R: Pierre Haski prévient qu'il serait pour le moins téméraire de faire une croix sur les chances de victoire du chef d'État. D'abord, parce que le politicien est «excellent» en campagne. Le comportement des ténors socialistes, qui menacent de se livrer une nouvelle bataille fratricide pour choisir leur candidat, pèsera aussi lourdement dans la balance. «Si la gauche ne réussit pas à se doter d'un candidat consensuel, Nicolas Sarkozy aura un boulevard devant lui», affirme le fondateur de Rue89.