Faruk Günaltay s'estime chanceux d'être toujours en vie. Et il entend en profiter pour tenter de mettre un holà à la série d'actes xénophobes qui touchent sa ville du nord de la France.

Ce résidant de Strasbourg, qui dirige un cinéma d'art et d'essai engagé «en faveur de la diversité», pense qu'il aurait bien pu périr avec sa famille dans la nuit du 20 au 21 septembre.

«Quelqu'un est entré dans la cour de ma résidence et a mis le feu à la voiture de ma femme et à la mienne. Les flammes se sont propagées à la fenêtre alors que nous dormions. Si nous n'avions pas été alertés par nos voisins, les conséquences auraient pu être tragiques», relate en entrevue M. Günaltay, homme d'origine turque qui a vécu pratiquement toute sa vie en France.

Bien qu'il ne connaisse pas l'identité des auteurs du crime, il pense que leur action «haineuse» s'inscrit en droite ligne avec une série récente d'actes ayant pour trait commun «le rejet de l'autre».

«À ce stade, ce qui est important est de dire «Assez!» et de se regrouper pour envoyer un message ferme de réprobation, de dégoût et de colère à ces gens», souligne M. Günaltay, qui s'est joint mardi au maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries, pour lancer un «appel républicain».

Les autorités locales, qui disent avoir recensé une quinzaine d'actes racistes depuis le début de l'année, invitent la population à signer une pétition pour souligner son indignation. «Ceux qui sont coupables cherchent à nous diviser», a déclaré M. Ries, qui a vu sa propre maison taguée par des délinquants islamophobes.

Emboîtant le pas, des dignitaires religieux de diverses confessions ont publié jeudi une déclaration commune «pour condamner solennellement toute forme de racisme, d'antisémitisme, de xénophobie et d'incivilité républicaine».

Comme dans le cas de M. Ries, les résidences de personnalités juive et musulmane ont été dégradées. Plusieurs profanations sont survenues dans des cimetières. Et des personnes ont été attaquées en raison de leur appartenance religieuse.

C'est dans ce contexte tendu qu'est apparu sur l'internet la fin de semaine dernière une vidéo, encore partiellement accessible en ligne, dans lequel un homme de 30 ans résidant en banlieue de Strasbourg brûle un exemplaire du Coran et urine sur les flammes.

Le responsable de la vidéo, qui se montre à visage découvert avant d'enfiler un masque de «diable», procède à la destruction de l'ouvrage sans vraiment expliquer son geste. Il a été interrogé par les policiers et devra comparaître pour incitation à la haine raciale.

Son initiative a suscité l'indignation des responsables de la grande mosquée de Strasbourg, qui ont pris contact avec lui pour vérifier si le nom et les coordonnées qu'il présentait dans son montage étaient bien les siens. Il n'a pas été possible pour La Presse de le joindre en utilisant les coordonnées en question.

«C'est vrai que l'on courait le risque de donner plus d'importance à cette personne qu'elle n'en a... Mais il faut que la justice fasse son travail pour éviter que d'autres personnes cherchent à s'en prendre à la communauté musulmane», a expliqué hier le président de la mosquée, Saïd Aalla.

Il insiste, comme le maire Ries, sur le fait que les actes xénophobes recensés depuis des mois sont isolés et ne reflètent pas le climat «de tolérance» régnant dans la ville.

L'inculpation du jeune homme alimente les débats sur l'internet, où certaines organisations très critiques de l'islam insistent sur le fait que le «blasphème» n'existe pas en France. «S'il avait fait brûler une Bible, je suis prête à parier qu'il ne se serait rien passé», dénonce Christine Tasin, fondatrice de l'association Résistance républicaine.

C'est se placer dans la perspective «des prescriptions islamiques» plutôt que dans celle des lois françaises, dit-elle, que de chercher à faire condamner un homme pour avoir brûlé le Coran.

«Est-ce que l'exercice de la liberté d'expression est d'injurier les convictions religieuses des autres en brûlant un livre et en urinant dessus? C'est une provocation», rétorque M. Günaltay, qui se préoccupe de la montée de l'intolérance en France, mais aussi en Europe.

«Il y a des indices inquiétants qui font qu'à un certain moment, il faut dire non», tranche-t-il.