L'enlèvement récent d'un groupe de ressortissants français au Niger replace sous les projecteurs Al-Qaïda au Maghreb islamique. L'organisation, mise en cause dans le rapt de Canadiens il y a deux ans, se réclame d'Oussama ben Laden mais utilise parfois l'idéologie religieuse comme couverture, explique notre journaliste.

Les leaders d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), après avoir revendiqué l'enlèvement de cinq ressortissants français il y a 10 jours au Niger, demeurent murés dans le silence. Les autorités en sont réduites à spéculer sur leurs intentions.

Le ministre de la Défense de la France, Hervé Morin, qui souhaite «discuter» avec eux, les a clairement décrits il y a quelques jours comme des partisans avoués du djihad mondial que préconise Oussama ben Laden.

«Bien entendu, j'ai espoir de faire libérer les otages, mais c'est forcément quelque chose de complexe, difficile, incertain, avec en face un groupe de 450 à 500 hommes - puisque c'est à peu près le nombre de combattants d'Al-Qaïda dans ces zones immenses -, un groupe qui fait la guerre à la totalité de l'Occident», a-t-il souligné.

Si l'on s'entend sur le nombre de militants d'AQMI, le journaliste anglais Jason Burke, auteur d'un ouvrage de référence sur Al-Qaïda, n'adhère pas à l'idée qu'ils sont largement acquis aux thèses et aux objectifs de ben Laden.

«Les leaders d'AQMI sont encore très autonomes. Ils ont décidé d'adhérer à la «marque» Al-Qaïda, de devenir une sorte de franchise locale, mais ils ne reçoivent pas d'ordres de ses dirigeants et n'ont pas beaucoup de contacts avec eux», souligne M. Burke.

La religion comme couverture

Le chef officiel d'AQMI, Abdelmalek Droukdel, est idéologiquement proche d'Al-Qaïda, mais il se trouve sous pression en Kabylie, dans le nord de l'Algérie, et a vu ses opérations réduites à leur plus simple expression au cours des dernières années, dit-il.

Quant aux brigades de l'organisation qui sévissent dans le désert entre le Mali, la Mauritanie, l'Algérie et le Niger, elles seraient «essentiellement criminelles et utilisent l'idéologie religieuse comme une couverture pour la contrebande et les enlèvements», note M. Burke.

Les deux principales brigades, qui opèrent dans l'est et l'ouest du Sahel, sont sous le commandement de deux chefs aux profils très différents, Abdelkader Belmokhtar et Abdelhamid Abou Zeid.

Jean-Pierre Filiu, auteur d'un récent ouvrage intitulé Les neuf vies d'Al-Qaïda, note que Belmokhtar se consacre essentiellement aux trafics de toutes sortes et aux enlèvements contre rançon. Son groupe avait été mis en cause dans le rapt du diplomate canadien Robert Fowler en 2008, au Niger.

Abou Zeid, qui serait responsable de l'enlèvement des cinq Français au Niger, est cependant acquis aux thèses d'Al-Qaïda et cherche à se faire bien voir de ses dirigeants, dit ce spécialiste de sciences politiques.

«Il entretient des contacts avec des organisations criminelles opérant dans le désert, mais s'en sert essentiellement pour faire avancer sa cause», souligne M. Filiu.

S'en prendre à la France

Selon lui, Al-Qaïda connaît avec ses filiales de très sérieux problèmes de communication qui limitent ses liens avec AQMI, mais il existe des preuves récentes de contacts directs avec Abou Zeid, en principe toujours fidèle à Droukdel.

Des écoutes téléphoniques suggèrent notamment qu'Al-Qaïda l'a poussé à exécuter un otage anglais en juin 2009.

AQMI est né du ralliement officiel à Oussama ben Laden du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui luttait pour l'établissement d'un régime islamique en Algérie.

Al-Qaïda, qui n'a jamais fait de son implantation au Maghreb une priorité, a accepté que la nouvelle organisation conserve essentiellement «le même commandement» et la même structure que le GSPC plutôt que de déléguer des dirigeants sur place, note M. Filiu.

La lutte contre le gouvernement algérien demeure l'objectif central d'AQMI, qui espère, au dire de M. Burke, obtenir une certaine résonance locale en s'en prenant à la France, ancienne puissance coloniale.

Les enlèvements visent aussi à obtenir «argent et publicité», que ce soit pour le djihad ou pour les dirigeants de l'organisation eux-mêmes, relève le spécialiste.

«Ils cherchent d'abord et avant tout la publicité, confirme M. Filiu. Et la preuve que ça marche, c'est que nous sommes en train d'en parler. Évidemment, c'est difficile de ne pas le faire, mais c'est en quelque sorte un piège.»