La Belgique, qui va de crise en crise, est de nouveau dans l'impasse politique, trois mois après les élections législatives de juin. Incapables de s'entendre avec leurs homologues de l'autre côté de la frontière linguistique, les élus wallons demandent avec une exaspération croissante: «Que veulent les Flamands?» Notre journaliste s'est rendu dans la région d'Anvers pour trouver une réponse à cette question.

Alors qu'il étudiait l'informatique à Bruxelles il y a une trentaine d'années, Jan Jambon défendait déjà férocement son droit de parler néerlandais et de se faire servir dans sa langue, au point de refuser de payer dans les commerces où l'on s'adressait à lui uniquement en français.

«C'était très avantageux économiquement pour moi», confie en riant le politicien de 50 ans, qui relate avoir visité quatre semaines de suite la même épicerie pour obtenir qu'on le serve comme il le souhaitait.

«La caissière refusait de me dire le prix en néerlandais. Je prenais donc les articles sous mon bras et je partais sans payer en disant que je ne comprenais pas le prix. Elle me criait «Sale Flamand, tu dois payer!» La quatrième semaine, ils m'ont parlé en néerlandais», relate-t-il.

L'engagement de M. Jambon en faveur des droits des Flamands l'a mené ensuite à s'investir dans différents groupes de pression jusqu'à ce qu'il se décide finalement à faire le saut en politique, au milieu des années 2000.

Député au Parlement fédéral belge depuis 2007, il chapeaute en Chambre les élus de la Nouvelle Alliance flamande (NVA), qui a remporté haut la main en Flandre les élections législatives de juin dernier.

Portée par son charismatique leader Bart de Wever, qui appelle de ses voeux la création d'un État flamand indépendant, la formation a vu ses appuis populaires monter en flèche en quelques années.

«Les gens en Flandre sont de plus en plus convaincus que les structures doivent changer, qu'il y a un blocage total au fédéral. La solution est de confier de plus en plus de compétences aux régions. Ultimement, les seules compétences qui demeureront au fédéral seront prises en charge par l'Europe, et la Belgique disparaîtra», dit M. Jambon.

L'argent en jeu

Le NVA, tout en poursuivant cet objectif à long terme, participe aujourd'hui aux discussions visant à former un nouveau gouvernement de coalition avec les principaux partis wallons. Les négociations piétinent en partie parce que les nationalistes flamands réclament une révision de la fiscalité qui donnerait plus d'autonomie financière aux régions.

Bien que l'affirmation linguistique et culturelle ait toujours joué un rôle dans les aspirations des Flamands, les enjeux économiques prennent une place prépondérante aujourd'hui, estime M. Jambon: «Trop d'argent va de la Flandre vers la Wallonie et vers Bruxelles, la capitale, sans que la situation s'améliore, notamment en matière de chômage. Il faut faire en sorte que chaque région soit responsable de ses budgets et de ses résultats.»

L'idée que la Wallonie constitue un frein au développement de la Flandre est largement répandue dans la population locale.

«La Flandre est meilleure que la Wallonie. Nous avons une meilleure industrie, plus de travail et plus d'argent», estime Ivan Masschelein, un résidant d'Anvers de 59 ans croisé dans le quartier des diamantaires.

La prospérité flamande est palpable dans les rues du centre-ville, où abondent les boutiques de luxe, mais aussi en banlieue, dans des communes comme Brasschaat, où ont été érigées d'immenses demeures. Nombre de résidants circulent à bord de luxueuses voitures sport.

«Beaucoup de gens qui vivent ici travaillent dans le secteur du diamant ou dans le port», résume M. Jambon, qui est aussi membre du comité exécutif de la commune.

Le dynamisme de l'économie flamande contraste avec l'état de l'économie wallonne, qui peine à se remettre du déclin des industries lourdes qui assuraient autrefois sa prospérité.

Comme des siamois

Herman Van Goethem, professeur d'histoire à l'université d'Anvers, pense que l'attention qu'on accorde aujourd'hui au déséquilibre économique entre les deux régions est l'aboutissement logique de l'effritement de l'identité nationale belge. «On ne se sent plus solidaire en Wallonie de la Flandre ni en Flandre de la Wallonie», déplore le spécialiste.

Bien qu'il soit pessimiste sur l'avenir de la Belgique, M. Van Goethem pense que Flamands et Wallons sont condamnés à s'entendre en raison du problème inextricable que représente Bruxelles. «Ils sont comme des jumeaux siamois liés ensemble par le coeur», illustre-t-il.

La capitale européenne, Bruxelles, située en région flamande, compte 90% de francophones et a une importance économique et politique de premier plan pour les deux régions.

«Si on renonçait à Bruxelles, je pense que l'indépendance se ferait rapidement. Mais ce n'est pas notre intention, notamment parce que 100 000 Flamands vivent dans la ville», note M. Jambon, du NVA.

Le politologue Dave Sinardet, de l'Université d'Anvers, note que les sondages placent le soutien à l'indépendance, côté flamand, sous la barre des 10%. Pourtant, plus de la moitié de la population vote pour des formations favorisant l'indépendance ou une plus grande autonomie.

«Beaucoup de gens se moquent complètement des questions communautaires. Ils ne se sentent ni comme des Belges convaincus, ni comme des Flamands convaincus», souligne l'analyste, qui ne croit pas vraiment au scénario de scission de la Belgique.

Même scepticisme de la part de Kris Deschouwer, politologue à la Vrije Universiteit Brussel. «Au bout du compte, on en arrivera à un nouveau compromis à la belge. Ce n'est jamais très agréable, mais c'est dans l'intérêt de tout le monde.»

Leo de Kimee, qui tient une boutique de vêtements dans le centre d'Anvers, n'est pas inquiet de l'évolution des discussions politiques. Les Flamands sont «encore un peu frustrés» de l'époque où ils étaient pauvres et dominés par une élite francophone, mais ils ne détestent pas pour autant les Wallons, dit l'homme de 55 ans. «Nous avons toujours eu entre Belges des discussions compliquées, mais qu'est-ce qu'on peut faire d'autre? Se tirer dessus comme en Yougoslavie? Bien sûr que non», conclut-il.

AFPFlamands et Wallons: la difficile cohabitation

SUPERFICIE: 30 528 km2.

POPULATION:

Belgique: 10,67 millions d'habitants.

Flandre: 6,16 millions.

Wallonie: 3,46 millions.

Région de Bruxelles-Capitale: 1,05 million.

LANGUES NATIONALES: Les Flamands parlent néerlandais; les Wallons, français. Bruxelles est bilingue, avec une forte majorité francophone. À l'extrême est vit une communauté de 74 000 germanophones.

ÉCONOMIE: Les principaux centres industriels, autrefois en Wallonie (taux de chômage actuel de 16,5%), sont à présent situés en Flandre (taux de chômage de 7,2%). De nombreux fleurons belges sont passés sous contrôle étranger, notamment français. La dette publique, élevée, a été encore alourdie par la crise financière de 2008.