On y trouve un McDonald's, une boutique de souvenirs, des plages et même un cinéma en plein air. Mais personne n'y entre sans y être invité ou escorté par des militaires. Bienvenue à Guantánamo Bay, improbable bourgade américaine dans l'île de Fidel Castro.

La scène a tout d'une pièce de théâtre. Une quarantaine de personnes attendent dans un aéroport pour embarquer dans un seul et même vol. Presque tous les acteurs sont là: le juge, les avocats de la poursuite, les conseillers de la défense, les journalistes, et même la veuve éplorée. Ne manque que l'accusé au procès: Omar Khadr, qui, lui, est retourné dans sa cellule du camp de détention, une fois le rideau tombé.

Tous les autres quittent l'île de Cuba, comme ils sont arrivés, quelques jours plus tôt, pour le début du procès du Canadien accusé du meurtre d'un soldat américain en Afghanistan, en 2002.

À Guantánamo, cette proximité n'est pas rare. Presque chaque soir pendant la durée d'un procès ou d'audiences préliminaires, tous les protagonistes du dossier se croisent et se côtoient dans l'un ou l'autre des trois restaurants et casse-croûte, deux bars et une cafétéria militaire.

Habillés en civil, polos, bermudas et sandales aux pieds, ils se fondent, l'espace d'un souper au club des officiers ou d'une soirée karaoké au Tiki bar, aux «locaux». Les locaux? Quelques centaines de militaires employés à la base navale de l'armée américaine, et leurs familles, mais surtout les 2000 soldats de la Joint Task Force, qui tiennent le fort depuis 2002, date de l'installation de la controversée prison.

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Une enseigne accueille les visiteurs qui arrivent sur le territoire américain de 120 km2. En plus d'y lire le nom du commandant en chef, on peut y voir la température (32ºC).

Située à moins de 100 km de l'historique Santiago de Cuba et à quelque 150 km de Guardalavaca, réputée destination touristique, la baie de Guantánamo semble coincée entre deux mondes. Le soleil tape, le sable brûle les pieds, et l'eau y est turquoise comme sur les côtes du reste de l'île, mais aucun promoteur n'y a installé de tout-inclus.

Les États-Unis, ayant aidé Cuba à accéder à son indépendance face à l'Espagne, en 1898, obtiennent en 1903, pour service rendu, la location perpétuelle, pour un prix dérisoire, du territoire de près de 120 km2, en réalité très peu occupé. L'entente est renouvelée en 1934, faisant passer le coût de la location de 2000 pièces d'or par mois à 4085$, avec une clause indiquant que les deux pays doivent être d'accord pour briser le contrat. Ainsi, depuis la révolution cubaine de 1959, les Américains n'ont plus le droit de traverser une frontière hautement surveillée et par endroits minée. Le gouvernement communiste tente en vain de briser le bail, mais les Américains résistent. Le paiement du loyer continue d'être envoyé chaque mois, mais les Cubains ne l'ont pas encaissé depuis 1959, sauf une fois, par erreur.

Un lieu flou et «pratique»

Au moment d'incarcérer des prisonniers présumés terroristes, au statut légal plutôt flou, les États-Unis de George W. Bush étaient bien contents de pouvoir utiliser ce bout de territoire, ni tout à fait américain, ni vraiment étranger. Le statut imprécis de la base militaire est aujourd'hui tout aussi pratique lorsque vient le temps de tenir des commissions militaires qui seraient constitutionnellement difficiles à justifier en sol américain.

Et même si ça paraît complètement invraisemblable, l'embargo des États-Unis contre Cuba, en vigueur depuis 1962, est tout aussi valide à Guantánamo. De sorte que le Nex (pour Navy Exchange), - un immense magasin général où on peut trouver de tout, des légumes frais aux livres, montres, vêtements, iPod et autres babioles -, vend des cigares et du rhum dominicain, mais pas cubain.

En contrepartie, c'est aussi le seul endroit de toute l'île où vous trouverez une succursale de McDonald's, en plus des Subway, Poulet frit Kentucky et Starbuck's qui s'y sont établis. Le cinéma en plein air et les terrains de sport donnent à la rue principale, l'avenue Sherman, des airs de village américain des années 60. La boutique touristique rassemble les mêmes articles que partout ailleurs: aimants à réfrigérateur, tasses à l'effigie d'un iguane ou d'un palmier, casquettes et vêtements. Mais un simple t-shirt annonçant Guantánamo Bay, avec un drapeau américain et la mention Cuba, illustre parfaitement la contradiction de l'endroit: à cheval sur deux réalités.

Mais nous sommes loin des quelques scènes du succès cinématographique de 1992, Des hommes d'honneur, avec Tom Cruise et Jack Nicholson, qui se passe à la base de Guantánamo: les Cubains ne sont plus menaçants et les soldats américains considèrent ce «déploiement» comme pépère, voire ennuyeux.

Cynisme ou arrogance, mais signe évident que la guerre froide est loin derrière: la station de radio de la base, Radio-Gitmo, a adopté comme slogan: «Rockin' in Fidel's backyard» (On rocke dans l'arrière-cour de Fidel), en référence à l'ex-dirigeant cubain et leader de la révolution, Fidel Castro, dont l'état de santé reste un mystère depuis maintenant plusieurs années. Les deux mondes ont au moins cela en commun: bien des questions restent sans réponse.

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L'avocat d'Omar Khadr, le lieutenant-colonel Jon Jackson, lors d'un point de presse à la veille du procès. Le processus judiciaire a été suspendu à la suite du malaise qu'a eu le lieutenant colonel devant la cour.