Malgré la cascade de révélations sur les indélicatesses de plusieurs de ses ministres, Nicolas Sarkozy espérait que l'affaire la plus lourde, celle qui implique son ministre Éric Woerth et Mme Bettencourt - la plus riche fortune de France -, allait se tarir d'elle-même à la faveur de la fin de la session parlementaire et des vacances d'été.

Espoir déçu. Le site internet Médiapart est revenu à la charge, hier, avec des informations qui mettent cette fois directement en cause le financement de la campagne de Sarkozy à l'élection présidentielle de mai 2007.

Ces nouvelles révélations sont embarrassantes pour le président, mais elles le sont encore davantage pour Éric Woerth, ministre-clé de son gouvernement, responsable du dossier explosif de la réforme des retraites, une réforme dont le sort se joue ces jours-ci, avant le dépôt du projet de loi, le 13 juillet.

Éric Woerth, que Sarkozy avait décidé de protéger coûte que coûte depuis l'éclatement de l'affaire, se trouve à être, depuis 2002, le trésorier officiel de l'UMP, le parti présidentiel. Il a continué d'occuper ce poste lorsqu'il est devenu ministre du Budget, en 2007, puis du Travail, en 2009.

Il est désormais accusé d'avoir personnellement reçu une enveloppe de 150 000 en liquide (environ 200 000$) des mains de l'homme de confiance de Liliane Bettencourt. L'accusation vient d'une personne a priori digne de foi: c'est Claire Thibout, qui a été comptable de la riche héritière de L'Oréal jusqu'en décembre 2008, qui aurait fait ces déclarations à la police.

Vers un coup fatal?

Si elles s'avéraient, ces accusations de financement illégal porteraient un coup fatal à ce ministre discret qui, alors au Budget, s'était fait connaître en lançant une chasse à quelque 3000 gros fraudeurs qui détenaient des comptes secrets en Suisse. On suppose que cet acte de financement illégal ne remonterait pas jusqu'à Nicolas Sarkozy lui-même, car les candidats à la présidence évitent de se mêler directement de la cuisine du financement de leurs campagnes. Mais le soupçon demeurerait, et le fait de devoir lâcher son ministre en catastrophe serait un coup très dur pour Sarkozy.

L'atmosphère était en tout cas surchauffée hier après-midi à l'Assemblée nationale, où l'opposition socialiste est revenue cinq fois à la charge contre Éric Woerth, qui a tout nié en bloc et qualifié les accusations de «ragots» et de «calomnies».

Au journal télévisé de 20 h, sur TF1, le ministre Woerth en personne, fébrile et tendu, a réaffirmé, sans entrer dans les détails, qu'il n'avait «jamais reçu un euro illégal» en tant que trésorier de l'UMP. Mais chacun se demande comment il pourrait continuer, d'ici au 13 juillet, à négocier avec les centrales syndicales le report de l'âge de la retraite et l'allongement substantiel des durées de cotisation.

Situation intenable

L'affaire avait commencé sur le mode balzacien, lorsque la fille unique de Mme Bettencourt (fortune estimée à plus de 15 milliards d'euros) a accusé le photographe mondain François-Marie Banier d'avoir abusé de la «faiblesse» de la vieille dame (âgée de 87 ans) pour se faire donner l'équivalent d'un milliard d'euros.

Elle a pris une tournure politique lorsque, à la faveur d'enregistrements pirates, on a appris que Florence Woerth avait été embauchée pour cogérer la fortune Bettencourt peu après que son mari fut devenu ministre du Budget. De forts soupçons de fraude fiscale étaient également apparus. Avec ces nouvelles accusations mettant directement en cause Éric Woerth, on est passé au stade supérieur.