À l'intérieur d'un ancien magasin de vêtements situé à deux pâtés de maisons de Ground Zero, l'imam Feisal Abdul Rauf exhorte au calme les quelque 200 fidèles venus entendre son prêche à l'occasion de la traditionnelle prière du vendredi.

«En tant que musulmans, nous devons aller parmi le monde et montrer le meilleur de nous-mêmes», dit le prédicateur aux cheveux blancs et à la barbe soigneusement taillée. «Notre marge d'erreur est moindre. Nous devons combattre ceux qui sont contre nous avec la paix et l'assurance que nous avons la paix dans nos coeurs.»

 

Le combat auquel l'imam originaire du Koweït fait allusion n'a rien de théorique. C'est le combat que lui et ses partisans mènent contre les adversaires les plus bruyants et les plus virulents de son projet le plus cher: construire sur le site de l'ancien magasin Burlington Coat Factory, au 45, Park Place, un centre culturel musulman de 13 étages abritant une salle de spectacle, une piscine et une mosquée, entre autres choses.

Jeudi dernier, la veille du prêche de l'imam Rauf, le Daily News a consacré une grande partie de sa une à la diatribe de Mark Williams, l'un des dirigeants du mouvement Tea Party, contre l'édification d'un immeuble «pour le culte du dieu-singe des terroristes» à deux pas de Ground Zero, où 2752 personnes ont perdu la vie lors des attentats du 11 septembre 2001.

Ce jour-là, le prédicateur de 61 ans a convoqué la presse au 45, Park Place pour dénoncer l'intolérance de Williams et de plusieurs autres critiques de son projet. Il était entouré de personnalités politiques new-yorkaises de confessions juive et chrétienne, dont le président de l'arrondissement de Manhattan, Scott Stringer, le représentant démocrate de New York, Jerry Nadler, et la présidente du Conseil municipal de New York, Christine Quinn.

Rapprochement entre les religions

«Nous condamnons les terroristes, a déclaré l'imam Rauf aux journalistes. Nous reconnaissons que le terrorisme existe dans notre religion, mais nous sommes déterminés à l'éradiquer. Nous voulons reconstruire cette communauté. Nous sommes des musulmans modérés qui veulent faire partie de la solution.»

Connu à New York pour son engagement en faveur du rapprochement entre les religions et les cultures, Feisal Abdul Rauf est le président de l'Association américaine pour la promotion de l'islam (American Society for Muslim Advancement), organisme qui a acheté l'an dernier l'ancien magasin de Park Place pour la somme de 4,58 millions de dollars. Selon lui, la construction du centre culturel musulman pourrait coûter de 105 à 140 millions de dollars.

L'opposition à l'établissement d'un lieu de culte musulman à deux pas de Ground Zero prend différentes formes. Sur le plan national, un groupe baptisé Stop Islamization of America (SIOA) organise à New York une manifestation le 6 juin contre ce que ses dirigeants appellent la «mosquée de Ground Zero». «Ce n'est pas un rameau d'olivier, dit la directrice de SIOA, Pamela Geller, au sujet du lieu de culte. C'est un drapeau; un drapeau de conquête de Ground Zero.»

Il existe également un blogue en ce sens (www.nomosquesatgroundzero.wordpress.com) depuis le mois de décembre.

Avis partagés

Sur le plan local, des parents de victimes des attentats ont également fait connaître leur opposition. L'un d'eux, Jim Riches, pompier à la retraite dont le fils de 29 ans est mort dans l'écroulement d'une des tours du World Trade Center, compare le projet à «une gifle au visage des familles».

«Pour moi, l'islam est une religion de haine, dit-il. Il y a peut-être de bons musulmans, mais je ne les connais pas, et ils ne se sont pas levés pour renverser les autres.»

Les parents des victimes ne sont cependant pas unanimes dans leur opposition. Certains d'entre eux ont adopté l'attitude accueillante de la plupart des responsables politiques et religieux de New York à l'égard du projet de l'imam Rauf. «Construire un lieu de paix et d'amour près de l'enfer sur terre est une façon de rendre hommage à la mémoire de ma fille», dit Donna Marsh O'Connor, qui représente un groupe d'entraide pour les familles du 11 septembre.

Nabil Wasif, analyste financier dans une banque de Wall Street, fait partie de la communauté grandissante de musulmans qui vivent et travaillent autour de Ground Zero. Il hoche la tête en parlant des manifestations d'intolérance provoquées par le projet de l'imam Rauf.

«Les critiques de l'islam demandent souvent aux musulmans modérés de s'exprimer contre l'extrémisme religieux, dit-il après la prière du vendredi dans l'ancien magasin de Park Place. C'est ce que l'imam Rauf s'évertue à faire, et regardez la façon dont certains le traitent. J'espère qu'ils n'auront pas le dernier mot.»