Parallèlement à l'escalade militaire en Afghanistan annoncée récemment par Barack Obama, la Maison-Blanche a aussi décidé d'expédier de nombreux civils en renfort. Leur nombre aura triplé en un an, à la fin de janvier 2010. Notre collaborateur a accompagné certains de ces civils au camp Atterbury, dans un décor afghan recréé en plein coeur de l'Indiana. Là où ils se préparent à leur mission dans un pays en guerre aux côtés de vrais militaires et de vrais Afghans.

À pied ou à bord de véhicules blindés, une douzaine de soldats escortent un groupe composé de civils américains et de responsables afghans. Ils se dirigent vers un marché de Kunar, une province située à la frontière des zones tribales du Pakistan, où les talibans et les combattants d'Al-Qaeda ont reconstitué leurs forces.

 

Ce déplacement risqué a pour but de vérifier auprès des marchands locaux les accusations de corruption formulées par un chef tribal contre le gouverneur provincial. Or, comme le groupe arrive à la hauteur des premiers étals, l'explosion d'une roquette secoue le marché, suivie de tirs d'armes légères. Des insurgés attaquent.

«Tout le monde à l'abri!» s'écrie un soldat américain en entraînant le groupe dans une des échoppes.

Le bruit d'une autre explosion de roquette retentit, tandis que le premier de quatre véhicules blindés s'arrête devant l'échoppe, prenant à son bord quelques membres du groupe. Avec le départ du dernier Humvee, tous les civils américains et responsables afghans sont évacués du marché. Tous, sauf le gouverneur, qui badine maintenant avec un des marchands.

«Ha! Nous avons encore oublié le gouverneur!» s'exclame en souriant un des responsables de ce qui n'était en réalité qu'une mise en scène, dont les détails étaient connus à l'avance de tous les acteurs, à l'exception des civils américains.

Réagir aux explosions

Bienvenue à Camp Atterbury, un centre d'entraînement militaire situé dans l'Indiana, où l'armée américaine prépare ses soldats aux combats urbains. Depuis juillet, c'est également là, dans un décor afghan, que le département d'État envoie les coopérants civils avant leur déploiement à Kandahar, Helmand ou Kunar. Ceux-ci y apprennent non seulement à réagir aux explosions de roquette, à monter dans les Humvees et à distinguer les uniformes et les grades des officiers, mais également à composer avec la réalité politique, sociale et culturelle de l'Afghanistan.

La formation de ces coopérants, qui travailleront en priorité dans le domaine agricole, s'inscrit dans le cadre d'une escalade de l'effort civil des États-Unis en Afghanistan. Avant même que Barack Obama ne présente sa nouvelle stratégie pour ce pays, le département d'État avait annoncé le triplement du nombre de coopérants américains en Afghanistan, qui doit ainsi passer de 320 à un millier d'ici la fin de janvier 2010.

À ce millier de coopérants, il faudra ajouter quelque 10 000 civils afghans qui seront embauchés sur place.

«Nous allons fournir une aide qui aura un impact direct sur le secteur agricole de l'Afghanistan», a déclaré la secrétaire d'État Hillary Clinton lors d'une audition récente devant une commission sénatoriale. «Cette aide créera des emplois, réduira les revenus que les talibans tirent de la culture du pavot et éloignera les insurgés du champ de bataille.»

Afghans recrutés en Virginie

Conçu par le département d'État, l'entraînement des civils à Camp Atterbury leur fait vivre durant sept jours diverses situations dans lesquelles ils risquent de se retrouver en Afghanistan, où ils seront placés sous la protection des militaires américains.

«S'ils font des erreurs, nous voulons qu'ils les fassent ici, et non là-bas», déclare le sergent Brad Staggs, un des porte-parole militaires de Camp Atterbury.

Le rôle des Afghans dans les scènes d'entraînement est joué par des immigrés recrutés dans la banlieue de Washington par Jim McKellar, un militaire à la retraite. La quête de cet ex-marine a commencé dans un restaurant afghan de Falls Church, en Virginie. Le bouche à oreille a fait le reste. La troupe de McKellar compte désormais quelque 500 acteurs afghans, dont Mohammed Pir Mohammad, un ancien diplomate qui tient souvent le rôle de gouverneur.

Dans une des scènes auxquelles La Presse a assisté cette semaine, le gouverneur a répondu aux accusations de corruption portées par le chef tribal en les retournant contre ce dernier.

«Vous n'avez jamais respecté votre engagement de cesser la culture du pavot», a-t-il dit, par l'entremise d'un interprète, en présence des coopérants américains. «Et ne vous étonnez pas si vos jeunes ne sont pas embauchés par la police frontalière. La plupart d'entre eux sont accros à l'opium.»

Le gouverneur dit-il vrai? La question, à laquelle les coopérants n'obtiendront pas une réponse claire, lève un voile sur la complexité de la réalité à laquelle ils feront face en Afghanistan.