Une bataille juridique se joue en France entre la femme la plus riche du pays, sa fille et un photographe aux allures de dandy. On reproche à ce dernier d'avoir reçu des dons d'une valeur de plus d'un milliard de dollars de la milliardaire octogénaire. Le dénouement de ce drame familial, qui fait jaser le Tout-Paris ces jours-ci, est attendu en avril, nous explique notre correspondant.

Le conflit opposant la fille de la femme la plus riche de France à un dandy photographe accusé d'avoir spolié la vieille dame d'une véritable fortune semble sorti tout droit du cerveau bouillonnant d'un tragédien grec. Mais il est bien réel. Françoise Bettencourt-Meyers accuse François-Marie Banier d'avoir exercé une influence indue sur sa mère, Liliane Bettencourt, héritière du fondateur de L'Oréal. Elle soutient qu'il a usé de cette influence, réelle ou supposée, pour arracher à la femme de 87 ans des «dons» en chèques, en contrats d'assurance-vie ou en toiles de maître d'une valeur totale de près d'un milliard et demi de dollars.

Le hic, pour la fille, c'est que le photographe de 62 ans nie tout. La mère, elle, maintient avoir fait ces dons de plein gré à un homme qu'elle décrit comme un artiste rempli «d'idées et d'ingéniosité».

L'affaire, qui se trouve aujourd'hui au coeur d'un étonnant imbroglio juridique, a éclaté en 2007 lorsque Mme Bettencourt-Meyers a porté plainte pour «abus de faiblesse». Elle arguait que sa mère souffrait d'une «anomalie neurologique» qui la rendait vulnérable.

Après de longs mois d'enquête durant lesquels la police judiciaire a longuement exploré le passé de M. Banier, le Parquet a classé le dossier sans y donner suite. La justice a conclu que seules les victimes directes d'un délit peuvent porter plainte et que, en l'occurrence, la seule personne concernée à ce titre se disait en fait «consentante».

Selon la revue Challenges, Liliane Bettencourt a déclaré, par lettre, qu'elle avait fait ces dons au photographe «par amitié et dans le prolongement d'opérations de mécénat, en toute connaissance de cause». Elle a, du même souffle, refusé de se soumettre à une expertise neurologique indépendante au motif qu'une première évaluation menée à sa demande démontre qu'elle est en pleine possession de ses moyens.

Loin de s'avouer vaincue, Françoise Bettencourt-Meyers a décidé de présenter une requête au juge des tutelles afin d'obtenir que sa mère soit placée sous protection judiciaire. En vain.

Son avocat, Olivier Metzner, a parallèlement lancé une citation directe à comparaître contre François-Marie Banier, qui s'est finalement retrouvé au tribunal la semaine dernière avec son avocat pour débattre de la recevabilité de la plainte.

À cette occasion, Me Metzner a lancé une attaque en règle contre le photographe, qu'il a accusé d'être un «prédateur» qui multipliait les manoeuvres pour isoler la vieille dame, devenue veuve en 2007, de sa famille.

L'avocat de Mme Bettencourt mère, Georges Kiejman, a rétorqué avec force ironie que sa cliente «n'était pas un légume» et qu'elle soupçonnait sa fille d'agir sous l'impulsion de son mari, Jean-Pierre Meyers, vice-président du conseil d'administration de L'Oréal.

«Totalement lucide»

Les deux parties doivent revenir devant le tribunal pour débattre du fond de l'affaire en avril, à l'occasion de deux journées d'audience qui promettent d'être fort courues.

En prévision de l'audience tenue la semaine dernière, M. Banier a brisé le silence dans une entrevue accordée au quotidien Le Monde. Il y souligne que Mme Bettencourt est une femme «libre» et «totalement lucide» qui a agi en toute connaissance de cause.

«Tout ce qu'elle m'a donné n'est rien par rapport à ce qu'elle m'a appris. Rien à côté du trésor d'optimisme, d'espérance et d'élégance dont j'ai bénéficié. On verra qui était sous l'emprise de l'autre, elle ou moi!» a-t-il déclaré.

Dans une lettre qu'elle a fait parvenir à sa mère au début du mois en prévision de sa démarche devant le juge de tutelles, Françoise Bettencourt-Meyers l'assure de son «total désintéressement».

«La seule chose que je veux, le seul but que je poursuis, c'est que tu sois entourée de personnes sur lesquelles il n'y aurait ni doute ni suspicion», souligne-t-elle.