Les commentateurs ne se sont pas lassés de le répéter après le décès de Ted Kennedy: tout démocrate qu'il était, le sénateur du Massachusetts avait ce don de tisser des alliances et des amitiés avec ses collègues républicains du Sénat afin de faire progresser ses causes politiques.

Les sénateurs John McCain et Orrin Hatch ont témoigné de ce talent vendredi soir lors d'un service funèbre privé donné pour la famille et les amis du défunt à la bibliothèque présidentielle John F. Kennedy. «Mon ami irlandais me manquera», a déclaré M. Hatch, un des républicains les plus conservateurs du Sénat, en essuyant ses yeux embués par l'émotion.

Mais le patriarche de la famille Kennedy était aussi la bête noire de quantité de républicains et de conservateurs qui ont profité de sa mort pour exprimer une dernière fois leur haine à son égard. Le chroniqueur du Washington Times Andrew Breitbart a donné le ton peu après l'annonce de sa mort en publiant une série de messages incendiaires sur sa page Twitter à propos de ce «tas de merde», ce «vaurien», ce «salaud» et autres descriptions de la même eau.

«Je suis plus que prêt à laisser tomber la bienséance pour m'assurer que CET HOMME ne soit pas béatifié, a écrit M. Breitbart. Désolé, il a détruit des vies. Et il le savait.»

Les diatribes de M. Breitbart et de ses semblables étaient évidemment aux antipodes des témoignages entendus à Boston au cours des derniers jours. Dans l'oraison funèbre qu'il a prononcée samedi lors des obsèques de Ted Kennedy, Barack Obama a salué en lui le «champion» des démunis, «l'âme du Parti démocrate» et «le lion du Sénat».

«Il n'était pas parfait, loin de là, mais mon père croyait en la rédemption et il ne s'est jamais rendu, n'a jamais cessé de vouloir corriger les erreurs, qu'il s'agisse des siennes ou des nôtres», a pour sa part déclaré son fils Ted junior.

Le sénateur avait lui-même tenu des propos semblables dans une lettre envoyée au pape et lue par le cardinal Theodore Carrick, un ami des Kennedy, qui a présidé à l'inhumation du dernier représentant d'une dynastie qui a marqué l'histoire américaine: «Je sais que j'ai été un être humain imparfait, mais avec l'aide de ma foi, j'ai tenté de revenir dans le droit chemin.»

Affaire Chappaquiddick

Les critiques les plus féroces de Ted Kennedy lui ont cependant refusé toute possibilité de rédemption. Plusieurs d'entre eux ont réduit l'existence du sénateur à l'affaire de Chappaquiddick, l'accident de la route qui avait coûté la vie à Mary Jo Kopechne, il y a 40 ans, au retour d'une soirée bien arrosée. La jeune femme se trouvait aux côtés de Ted lorsque celui-ci a perdu la maîtrise de son véhicule qui est tombé d'un pont.

Après avoir réussi à s'extirper de la voiture, le sénateur s'était enfui des lieux et avait attendu près de 10 heures avant d'avertir les autorités. Il avait été condamné à deux ans de prison avec sursis pour délit de fuite.

«Mary Jo apprécie probablement la chance de botter le derrière à celui qui l'a laissée se noyer dans cette eau froide et embrouillée», a écrit un commentateur anonyme sur le site internet du Dallas Morning News. «Mais elle est au paradis et Teddy ne s'approchera jamais de cet endroit.»

D'autres pourfendeurs de Kennedy ne lui ont jamais pardonné son rôle dans le torpillage en 1987 de la nomination du juge conservateur Robert Bork à la Cour suprême des États-Unis. Dans un discours à l'emporte-pièce, le sénateur avait non seulement dépeint le magistrat comme un adversaire du droit des femmes à l'avortement et des libertés civiles, mais également comme un partisan de la ségrégation raciale et du créationnisme.

«Même si ses mesures législatives avaient amélioré le sort de l'humanité, elles ne peuvent faire oublier les deux faits qui doivent marquer sa personnalité à jamais: la mort de Mary Jo Kopechne et la diffamation de Robert Bork», a écrit Hadley Arkes, professeur au collège Amherst, sur le site internet de l'hebdomadaire conservateur National Review.

De son côté, la journaliste Maureen Callahan a reproché aux féministes d'avoir passé l'éponge sur la façon dont Kennedy avait traité les femmes dans sa vie personnelle. Dans un article publié hier dans le New York Post, elle a notamment fait allusion au portrait dévastateur que le mensuel GQ avait consacré en 1990 au sénateur et à son penchant pour la boisson et les très jeunes femmes.

«Personne n'est parfait, n'est-ce pas? Mais comment se fait-il qu'autant de femmes lui vouent aujourd'hui une admiration sans bornes?» s'est interrogé Mme Callahan.

C'est peut-être que l'amour, comme la haine, rend aveugle.