Une anthropologue qui participait à un projet-pilote visant à améliorer les relations entre la population afghane et les militaires américains est morte au début du mois après avoir été gravement brûlée. Il s'agit de la troisième victime de ce programme controversé, mis sur pied par le Pentagone, que la communauté scientifique veut maintenant voir aboli.

La journée du 4 novembre avait bien commencé pour Paula Loyd. L'anthropologue américaine avait reçu la permission de se rendre dans le village de Chehel Gazni, à 80 km de Kandahar, afin d'y interviewer des villageois.

Mme Loyd, 36 ans, faisait partie d'un projet-pilote de rapprochement culturel de l'armée américaine. Appelé Human Terrain System, le programme envoie des scientifiques dans les zones de guerre dans le but de résoudre les problèmes et d'apaiser les tensions entre les militaires et la population locale.

Ce jour-là, Mme Loyd, une blonde au visage angélique, était accompagnée de trois interprètes locaux, d'un détachement d'infanterie de l'armée américaine et de Don Ayala, 46 ans, ancien garde du corps du président afghan et du premier ministre irakien.

Au début de sa visite dans les rues du village, Mme Loyd s'est approchée d'un homme qui tenait un vase contenant de l'essence. Après s'être présentée, la scientifique s'est mise à parler du prix du carburant avec l'homme, qui répondait au nom d'Abdul Salam.

Puis Abdul Salam a allumé l'essence et l'a jetée sur Mme Loyd.

Meurtre prémédité

Jennifer L. Bryan, une agente spéciale de l'unité des enquêtes criminelles de l'armée, a relaté la suite des événements dans une déclaration sous serment, quelques jours plus tard.

«Abdul Salam a aussitôt pris la fuite. Il a couru 50 mètres en direction de Don Ayala. Celui-ci a dégainé son revolver, mais il n'a pas fait feu. Il a plutôt étendu son bras, qui a percuté Salam et l'a envoyé au sol. Avec d'autres militaires, M. Ayala a maîtrisé le suspect et lui a attaché les poignets avec des menottes en plastique (zipcuffs). Durant la manoeuvre, M. Ayala pointait son revolver sur la tête de Salam.»

Des soldats ont jeté Mme Loyd par terre et ont tenté d'éteindre les flammes. Ses brûlures étaient profondes. Des médecins ont par la suite déterminé qu'elle avait été brûlée aux deuxième et troisième degrés sur 60% du corps.

Dix minutes plus tard, un soldat est venu rejoindre le groupe qui maintenait Abdul Salam plaqué contre le sol. Le soldat a dit que les blessures de Mme Loyd étaient très sérieuses.

Sans dire un mot, Don Ayala a pointé son revolver sur la tête d'Abdul Salam et a fait feu, le tuant sur le coup.

M. Ayala est aujourd'hui accusé de meurtre prémédité et sera jugé par un tribunal militaire. Il risque la prison à vie. Paula Loyd est morte de ses brûlures le 7 janvier 2009 à 14 h au Brook Army Medical Center à San Antonio, au Texas.

Programme controversé

Mis sur pied en 2005, le programme Human Terrain de l'armée américaine vise à jumeler des anthropologues et d'autres scientifiques aux militaires, pour améliorer la compréhension des cultures locales en Irak et en Afghanistan.

Les succès ont été nombreux. L'an dernier, un colonel posté en Afghanistan a déclaré au New York Times qu'il avait pu réduire ses opérations de combat de 60% depuis qu'une équipe de scientifiques est arrivée sur place.

«Nous regardons la situation avec une perspective humaine, avec une perspective de sciences sociales, a dit le colonel Martin Schweitzer. Nous ne sommes plus uniquement préoccupés par l'ennemi. Nous sommes intéressés à promouvoir la gouvernance et les interactions entre les gens.»

Depuis, les choses se sont corsées. En mai, Michael Bhatia, spécialiste en sciences politiques diplômé d'Oxford, a été tué, avec deux soldats, par l'explosion d'une bombe placée en bordure d'une route dans l'est de l'Afghanistan. Deux mois plus tard, Nicole Suveges, étudiante au doctorat à l'Université Johns Hopkins, au Maryland, a perdu la vie dans un attentat contre l'immeuble où elle travaillait, dans le quartier Sadr City, à Bagdad.

Aujourd'hui, le projet est attaqué de toutes parts. La prestigieuse revue Nature, qui avait appuyé l'initiative du bout des lèvres, qualifie aujourd'hui le projet d'«échec total».

Pour Roberto Gonzales, professeur d'anthropologie à l'Université de San Jose, Humain Terrain peut être attirant pour des scientifiques motivés par le désir d'améliorer le sort des gens qui vivent dans un pays en guerre.

«Mais il ne faut pas oublier que l'information acquise par ces scientifiques peut très bien se retrouver entre les mains de la CIA ou de la police locale, et servir à faire assassiner des gens», note-t-il.

Selon lui, le programme n'a pas de raison d'être. «Ce projet doit être éliminé. Sa seule existence devrait nous inciter à nous poser des questions sur l'état des sciences humaines en Amérique.»