La guerre entre les cartels de narcotrafiquants atteint des niveaux records dans les régions frontalières du Mexique. Le week-end dernier, 37 personnes ont été tuées à Tijuana, dont trois policiers en service. Naguère fréquentée par les touristes américains, la région fait désormais plus de victimes que la guerre en Irak...

Le vent soulève des nuages de poussière au-dessus des plaines du quartier Granjas Familiares, dans l'est de Tijuana. L'endroit fréquenté par les chiens errants sert de dépotoir aux résidants du coin.

 

Dimanche matin, les cadavres de neuf hommes y ont été découverts par un passant. Jetées sur le sol, les victimes avaient été décapitées. Un sac de plastique contenait les têtes. Trois victimes étaient des policiers. Leurs cartes d'identité ont été retrouvées dans leur bouche.

La veille, à quelques rues de là, quatre hommes vêtus de gilets pare-balles et munis de kalachnikovs sont entrés au Crazy Banana Pool Hall, un bar populaire. Ils ont ouvert le feu. Cinq personnes sont mortes sur le coup. Les tueurs ont pris la fuite dans une voiture qui attendait à l'extérieur.

Ces assassinats sont devenus monnaie courante à Tijuana. Le week-end dernier, 37 personnes ont perdu la vie à dans la ville. La plus jeune victime est un garçon de 4 ans, atteint d'une volée de projectiles à l'extérieur d'un supermarché, samedi dernier.

«Tout le monde a peur, explique Hiram Soto, un vidéojournaliste qui habite Tijuana. Les gens ne sortent plus de chez eux le soir. Les commerces ferment plus tôt. Les églises ont même commencé à tenir la messe à midi, car plus personne ne venait après la tombée du jour.»

La violence touche aussi les membres de la classe politique. Samedi dernier, le neveu du ministre du tourisme de la Basse-Californie, Angel Escobedo, a été retrouvé criblé de balles dans sa voiture, dans un quartier cossu de la ville. Les tueurs sont toujours au large.

Ville fantôme

Située à 10 minute de voiture de San Diego, Tijuana a longtemps été fréquentée par les Américains en quête de soirées arrosées et de vacances à bon marché. Aujourd'hui, les commerces de la ville ont de la difficulté à attirer les clients. Les hôtels sont presque tous vides.

«Ça fait 20 ans que je viens dans le coin, et je n'ai jamais vu une situation pareille, explique Jean-Louis Chéneau, un Français qui habite dans le sud de la Californie. D'habitude, les rues sont pleines, les gens viennent pour le week-end, ou ils viennent pour le surf. Cette année, c'est mort.»

La hausse de la violence est liée à la guerre entre deux cartels de narcotrafiquants: la famille Arellano Felix, qui contrôle la région depuis des décennies, et le clan Sinaloa, groupe criminel le plus puissant du Mexique. Les règlements de compte se font désormais en plein jour. La vaste majorité des crimes sont impunis.

La situation est maintenant comparée à la violence en Irak. Le mois dernier, 200 personnes ont été tuées dans des crimes liés au narcotrafic à Tijuana. Durant la même période, 148 civils sont morts en Irak.

Depuis peux, le coroner manque d'espace pour entreposer les corps: plus de cent cadavres ont été retrouvés dans la ville en moins de deux semaines en octobre.

Les policiers sont débordés. Mercredi, le chef de la police de Tijuana, Jesus Capella, menacé de mort à plusieurs reprises, a été démis de ses fonctions. Il a été remplacé par un officier de l'armée.

«La police mexicaine n'a jamais été préparée à affronter ce genre de situation, analyse Rodolfo de la Garza, spécialiste de la politique d'Amérique Latine à la l'Université Columbia. Dans le passé, les policiers devaient même acheter leur propre fusil. Au Mexique, quand vous avez un problème, vous n'appelez pas les policiers, parce que vous ne savez jamais à quelle enseigne ils logent.»

Ces jours-ci, c'est l'armée qui contrôle Tijuana. On aperçoit les militaires à bord de jeeps, et postés derrière des murets de sacs de sable, au coin des grandes artères.

L'armée est ici depuis plus d'un an. Or, la violence ne fait qu'augmenter. Les policiers de la ville sont amers. «Les militaires ne sont pas efficaces parce qu'ils sont habitués à travailler dans les régions rurales, a récemment confié un policier de Tijuana au Los Angeles Times. Ils sont trop lents.»