Un garçon de 8 ans aurait tué son père et un ami de la famille mercredi dernier à St. Johns, dans l'est de l'Arizona. Un drame qui a pétrifié la population de cette petite ville de chasseurs, où tout le monde se connaît. Notre correspondant dans l'Ouest américain s'est rendu sur place.

L'est de l'Arizona est un désert aussi plat qu'un lac sans vagues.

On arrive à St. Johns comme on entre dans un restaurant vide. Dans la rue principale sont alignés deux magasins à tout pour un dollar, deux églises, deux restaurants, un bureau de poste et aucun feu de circulation. De jour comme de soir, la rue est déserte.

 

La maison de Vincent Romero est la seule qui compte deux étages. Il y a un trampoline dans la cour. Quatre géraniums desséchés sur la galerie. Des décorations d'Halloween empilées près de la porte.

Tout le quartier semble posséder un véhicule tout-terrain. Dans chaque cour gisent des chaloupes de chasse renversées, recouvertes de bâches de camouflage.

Les voisins ne sont pas là. Ou ils ne se présentent plus à la porte quand ils entendent sonner.

Huit coups de carabine 22 ont fendu l'air ici la semaine dernière. Aucun de ces coups de feu n'était destiné au gibier.

Cet après-midi-là, un garçon de 8 ans est allé chez des voisins pour dire que son père était mort.

La police a trouvé le cadavre de Vincent Romero, 29 ans, devant l'entrée de sa maison. À l'intérieur, le corps de son coloc, Tim Romans, 39 ans, gisait dans les marches qui mènent à l'étage.

L'enfant a passé la soirée avec les policiers. Quelques jours tard, devant un juge, un procureur a accusé les enquêteurs de ne pas avoir lu ses droits au garçon, et de ne pas avoir attendu qu'un adulte soit présent pour l'interroger.

La détective de St. Johns, Debbie Neckel, a répondu que les policiers ont fait leur travail correctement.

«Nous croyions que le garçon était une victime, a-t-elle dit. Durant 90% de l'entretien, j'étais persuadée qu'il était une victime. Ce n'est qu'à la fin que j'ai compris qu'il était autre chose.»

Les chaînes aux pieds

Les procureurs ont déposé deux accusations de meurtre prémédité contre le garçon de 8 ans. Ils affirment que l'enfant a méticuleusement préparé son geste, et qu'il a avoué avoir commis le crime. Les policiers n'ont rien dit quant au motif des meurtres.

Le nom du garçon ne peut être rendu public. Lorsqu'il est apparu à la cour juvénile de St. Johns, lundi, des adultes dans la salle se sont mis à pleurer. «Le garçon était vêtu d'un ensemble de prisonnier orange, et les chaînes qu'il avait aux pieds traînaient par terre derrière lui», a rapporté le journal local. Les procureurs font des démarches pour que le garçon soit jugé comme un adulte, une mesure permise dans certains cas en Arizona.

Les parricides sont extrêmement rares aux États-Unis. De 1976 à 2005, 62 dossiers ont été ouverts concernant des meurtres commis par des jeunes de 7 ou 8 ans au pays, selon le FBI. Dans deux cas seulement, des enfants ont tué leurs propres parents.

Les psychologues notent que les enfants qui tuent leurs parents étaient souvent victimes de sévices. Les policiers de St. Johns ont dit ne pas avoir décelé de situation d'abus dans le cas présent.

Pour soeur Angelina Chavez, de l'église de St. Johns, le fils de M. Romero était un enfant enjoué au comportement normal. Elle connaît la famille depuis la naissance du fils.

«C'était un petit garçon qui aimait jouer avec son chien, qui venait à l'église, dit-elle. Ce qui est arrivé est inexplicable. Les gens ici sont incrédules. Mais personne n'a de réponse à offrir. C'est un point d'interrogation.»

Sous le choc

Père divorcé, Vincent Romero élevait son fils avec sa nouvelle femme. Ils habitaient avec un colocataire, Tim Romans, travailleur de la construction qui rentrait retrouver sa femme et ses deux filles adolescentes à Phoenix, la fin de semaine.

Le bien-être du garçon était très important pour M. Romero, explique un ami qui a bien voulu partager ses impressions sous le couvert de l'anonymat.

«Ils allaient souvent faire de la randonnée, ou bien ils allaient à la chasse. Ils formaient une famille unie.»

L'homme, qui habite le quartier, se souvient que M. Romero a offert une arme à son fils récemment. Une carabine de calibre 22. «Il lui a montré à s'en servir. Tout le monde chasse ici... Même mon fils possède son arme, que je garde verrouillée en tout temps.»

Des voisins ont dit que le garçon avait ramené de mauvaises nouvelles de l'école la veille des meurtres, et que son père l'avait disputé. «Tout ce que je sais, c'est que Vincent prenait l'éducation de son fils au sérieux», dit son ami.

Selon lui, le fils de M. Romero savait qu'il ne jouait pas à un jeu quand il a fait feu. «Le jeune connaît les fusils. Il a fallu qu'il recharge l'arme entre chaque coup de feu... Ce qui est arrivé est une tragédie. Il n'y a pas d'autres mots», dit-il, encore sous le choc.

M. Romero était populaire à St. Johns. Ouvrier de la construction, il aidait souvent ses voisins à faire des travaux. Lundi, plus de 600 personnes ont assisté à son service funéraire. L'événement a eu lieu à l'église de la rue principale, celle-là même où M. Romero s'était remarié, en septembre. Ses amis ont recouvert son cercueil d'une toile de camouflage, pour honorer sa passion pour la chasse.

Entourage incrédule

La mère du jeune garçon, qui habite au Mississippi, a confié aux médias locaux avoir des doutes sur la culpabilité de son fils. «Je ne crois pas qu'il ait pu faire ça», a dit Erin Bloomfield, 26 ans.

Elle a toutefois remarqué que son fils était différent depuis quelque temps. «Il était devenu plus distant. On aurait dit qu'il changeait.»

Jake Ruppert, qui travaille dans un casse-croûte de la rue principale, estime que la ville va mettre du temps à se relever du drame. Tous les médias de l'Arizona, et même Fox News et le New York Times, sont débarqués en ville depuis une semaine.

«Maintenant, nous sommes connus à cause de cette tragédie. Pourtant, c'est un endroit tranquille ici. Ça fait 10 ans que j'habite à St. Johns, et c'est la première fois qu'on vit une telle chose. Les gens sont à fleur de peau actuellement.»

Il s'essuie les mains sur son tablier noir, et regarde la rue déserte par la fenêtre.

«Je pense qu'on ne saura jamais la vérité dans tout cela. Seules quatre personnes connaissent la vérité: les deux victimes, le petit garçon et Dieu.»