Faut-il parler des journalistes qui se font enlever dans des pays en guerre ou passer la chose sous silence dans l'espoir de favoriser une résolution rapide du problème?

Le dilemme peut rapidement prendre des proportions cornéliennes pour les dirigeants des médias, qui doivent établir une ligne d'action en tentant de juger, sur la base d'informations souvent parcellaires, du risque qu'ils font courir aux otages.

 

Le quotidien français Libération a vécu l'expérience en 2005 lorsque la reporter Florence Aubenas a été enlevée avec son interprète en Irak.

La direction a décidé très rapidement d'évoquer publiquement sa disparition et la confirmation de son enlèvement, de crainte que les ravisseurs ne décident de l'exécuter. «Le grand risque était qu'ils décident qu'elle était une espionne. On a voulu lever l'ambiguïté à ce sujet en publiant de l'information détaillée sur elle, sur son expérience, etc.», souligne Marc Semo, chef du service étranger du quotidien.

Le Figaro et RFI avaient également décidé de rendre publique sans tarder la disparition des journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, en 2004.

Quant aux gouvernements, ils cherchent généralement à limiter la couverture médiatique accordée à l'enlèvement de leurs ressortissants. «Ça leur donne plus de marge pour opérer, sans pression médiatique. Et ça éviter de faire monter les enchères», souligne M. Semo.

Les autorités préconisent la discrétion particulièrement lorsqu'elles ont l'impression que les ravisseurs cherchent simplement à obtenir de l'argent.

L'attention que les médias accordent à un otage et l'intervention de personnalités publiques en sa faveur peuvent en effet inciter des groupes de ravisseurs plus politisés à «acheter» l'otage en vue de soutenir des revendications plus importantes. Une demande de rançon peut du coup se transformer en demande de retrait de troupes étrangères.

L'augmentation de la «valeur» de l'otage aux yeux des ravisseurs peut, à l'inverse, favoriser sa sécurité puisqu'ils se montreront peut-être moins prompts à l'exécuter.

Des médias «plus responsables»

L'organisation Reporters sans frontières a souligné récemment que la plupart des grands médias français ont eu à composer directement avec des enlèvements au cours des dernières années, ce qui les a obligés à «devenir plus responsables».

L'été dernier, le ministère des Affaires étrangères a publiquement remercié des médias qui avaient accepté, à sa demande, de cesser de publier de l'information relativement à un dossier d'enlèvement.

Marc Semo souligne que Libération a aussi décidé à quelques reprises, depuis le cas Aubenas, de n'aborder que de façon très superficielle certains dossiers délicats. Celui de la journaliste canadienne de la CBC avait été évoqué en quelques lignes la semaine dernière dans un article sur l'Afghanistan.

«Il n'y a pas de bonne réponse. Il faut y aller au cas par cas», résume le chef du service étranger du journal.