Avec le départ forcé du président Thabo Mbeki, un tiers du gouvernement sud-africain a démissionné hier, suscitant un affolement et faisant plonger la Bourse de Johannesburg et la devise nationale, le rand.

«Il n'y a pas de crise et il n'y a aucune raison de paniquer», a lancé Jacob Zuma, qui a ravi la tête du Congrès national africain (ANC) à Mbeki en décembre, lors d'un congrès aux allures de révolution interne.

 

«Les événements en cours seront résolus bientôt et ne doivent pas perturber les services publics», a-t-il dit, ajoutant: «Le nouveau président va former un gouvernement parfaitement à même de servir la nation.»

L'affolement boursier a suivi l'annonce que Trevor Manuel, ministre des Finances bien vu des investisseurs, était parmi les démissionnaires. Manuel a vite assuré qu'il était «disponible» pour servir le futur gouvernement.

La vice-présidente Phumzile Mlambo-Ngcuka, 10 ministres sur 29 et 3 ministres adjoints ont remis leur démission au chef de l'État sortant et quitteront le gouvernement en même temps que lui, demain, a indiqué la présidence.

Zuma joue l'apaisement

Ces démissions sont autant un geste de solidarité envers Mbeki qu'un signe de déférence envers son successeur désigné, Kgalema Motlanthe, vice-président de l'ANC, pour qu'il soit libre de constituer son propre gouvernement.

La désignation de Motlanthe, héros de la lutte anti-apartheid et homme réfléchi et conciliateur, traduit la volonté de l'ANC de jouer l'apaisement. L'ex-syndicaliste de 59 ans assurera l'intérim à la tête de l'État jusqu'aux élections de 2009.

Précipitant les étapes, l'ANC, majoritaire au Parlement, a obtenu hier par 299 voix contre 10 le départ de Mbeki dès demain. À 11h, l'Assemblée nationale élira Motlanthe, qui prêtera serment et désignera son gouvernement.

Les assurances de l'ANC sur une transition paisible n'ont pas convaincu tout le monde. La presse sud-africaine accuse le parti au pouvoir de défendre ses intérêts «avant ceux du pays». Le parti zoulou Inkatha parle d'un «gouffre» entre «les factions». L'affaire «montre à quel point l'ANC est divisé», estime l'analyste Aubrey Matshiqi.

Ces avis pointent vers la lutte entre les camps Zuma et Mbeki quant à l'urgence de réformer l'apartheid économique, 14 ans après la fin de l'apartheid politique.

Pauvreté et frustrations

Beaucoup de Noirs se sont enrichis grâce au programme Black Economic Empowerment, et la pauvreté frappe durement les Blancs qui ont perdu les subventions qu'ils touchaient sous l'apartheid.

Mais l'économie, les finances, la gestion et le complexe militaro-industriel du pays restent aux mains de la minorité blanche, alors que les Noirs sombrent dans «une pauvreté abjecte», comme l'a dit Mbeki dans son discours d'adieu.

Ils connaissent un taux de chômage de 40%, et 57% d'entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté, surtout à la campagne, alors que la réforme agraire tarde à se concrétiser.

Les frustrations explosent à la base. Elles ont porté Zuma à la tête de l'ANC, et alimenté les violences anti-immigrants cet été. Zuma prépare son accession à la présidence en 2009 avec l'apartheid économique dans sa ligne de mire. Les manoeuvres judiciaires pour lui bloquer la route, auxquelles Mbeki s'est désormais associé ouvertement, risquent de déstabiliser le pays - et de susciter une vraie panique.

Avec AFP, AP, Reuters, BBC, Int.iol.co.za, Cape Times et Business Day