Les Vikings repartent en campagne. Oubliez cependant les drakkars déversant, au delà de mers houleuses, des hordes de combattants impitoyables armés de hallebardes et de lances.

L'invasion des Vikings passe cette fois par des fioles où sont congelés les spermatozoïdes de leurs descendants danois.

L'épicentre de ce singulier retour de l'histoire se trouve à Copenhague, dans les locaux de Cryos, l'une des plus importantes banques de sperme d'Europe, voire de la planète.

Le président de l'entreprise, Ole Schou, souligne que les donneurs danois de l'entreprise sont responsables de la naissance de 12 000 enfants répartis dans une soixantaine de pays.

Troels Larsen est l'un de ceux qui contribuent à son succès. L'étudiant en physiothérapie de 23 ans vient une fois par semaine faire un don dans une clinique discrètement aménagée dans un immeuble résidentiel du centre-ville.

Après quelques minutes dans une cabine décorée de quelques affiches suggestives, il ressort avec un petit contenant qu'il remet à une technicienne. Celle-ci se charge aussitôt d'analyser la motilité des spermatozoïdes avant de déposer la fiole dans un contenant de nitrogène liquide.

Le jeune homme empoche ainsi chaque mois 400 euros, un « bon supplément » à sa bourse d'études.

L'anonymat vaut de l'or

Il a choisi de faire des dons sans préserver son anonymat de manière à permettre aux enfants qui naîtront grâce à lui de connaître un jour leur père biologique. La plupart des donneurs refusent cependant d'en faire autant.

« Je ne veux pas que quelqu'un se présente à ma porte dans 20 ans en disant que je suis son père », souligne Jacob Heiden, un jardinier de 25 ans, également donneur chez Cryos.

La préservation de l'anonymat, selon M. Schou, est l'une des raisons qui expliquent la croissance de sa banque de sperme, qui dispose d'une succursale à New York et s'apprête à en ouvrir une en Inde.

Plusieurs pays voisins, dit-il, ont interdit le don anonyme au cours des dernières années, ce qui a fait fuir les donneurs potentiels au point de créer de graves pénuries.

Faute de pouvoir bénéficier rapidement d'un don de sperme dans leur pays, nombre de couples désireux de recourir à la procréation assistée viennent de Suède, de Grande-Bretagne ou d'ailleurs pour consulter les cliniques danoises.

La Dre Ursula Bentin-Ley, qui travaille dans une clinique de fertilité de Copenhague, souligne que le quart de la clientèle de l'établissement est d'origine étrangère. Les gens viennent aussi bien de France que d'Allemagne ou d'Italie, où une loi interdit carrément les dons de sperme et d'ovules.

Des risques à prendre

D'autres États libéraux, comme la Belgique, tirent profit de ce « tourisme de fertilité ». L'entrée dans l'Union européenne de plusieurs pays de l'Est – où les traitements peuvent coûter sensiblement moins cher – n'a fait que renforcer le mouvement.

Guido Pennings, éthicien belge, a écrit récemment que la diversité législative en Europe doit être vue comme une « valve de sécurité » permettant aux personnes dont les valeurs diffèrent de celles de la majorité de trouver une réponse à leurs besoins. Il ne faut pas pour autant, souligne-t-il, minimiser les risques posés par le tourisme de fertilité.

Certains États autorisent des interventions qui seraient jugées trop risquées ailleurs. Une Française de 44 ans qui s'était rendue en Grèce pour contourner les restrictions de la loi française est ainsi tombée dans le coma en juin après avoir accouché de triplés.

Les normes sanitaires varient aussi largement d'un pays à l'autre. L'Union européenne a produit l'année dernière une directive très restrictive sur les tissus humains qui vise à protéger le public, mais plusieurs pays tardent à l'implanter, selon Mme Bentin-Ley.

Dons interdits

Ironiquement, cette loi pourrait avoir pour effet d'accroître encore les mouvements internationaux en entraînant la fermeture de banques de sperme mal équipées. « Toute mesure qui tend à diminuer l'offre va pousser les gens à aller voir ailleurs », souligne M. Schou, qui a accepté à plusieurs reprises d'expédier des fioles dans des pays où le don de sperme est strictement interdit.

L'entreprise préfère laisser porter aux médecins la responsabilité juridique de ces envois plutôt que de refuser. « Il est difficile pour nous de chercher à imposer des normes éthiques puisque ce qui est inacceptable dans un pays peut être tout à fait acceptable dans l'autre », souligne-t-il.