Le vainqueur de l'élection présidentielle américaine sera le candidat qui aura réussi à «maintenir intacte son image publique face au pouvoir destructeur du Freak Show».

Le Freak Show? C'est l'expression utilisée par deux journalistes bien en vue pour parler de l'impact des «nouveaux médias», comme l'internet et les chaînes d'information continue, sur la campagne électorale.

S'il faut se fier à cette théorie, défendue par John Harris et Mark Halperin dans le livre The Way to Win: Taking the White House in 2008, Barack Obama est en train de perdre l'élection.

Car le Freak Show malmène depuis plusieurs semaines l'image publique du sénateur de l'Illinois, qu'il oblige à se défendre contre des accusations allant de l'élitisme au messianisme en passant par le sexisme.

L'accusation de sexisme découle d'un épisode proprement burlesque qui a non seulement monopolisé la campagne présidentielle la semaine dernière mais également illustré de façon spectaculaire le fonctionnement du Freak Show.

Rappelons les faits: dans un discours prononcé en Virginie, le candidat démocrate a voulu ironiser sur la volonté de changement proclamée par John McCain après huit ans de pouvoir républicain à la Maison-Blanche: «Vous pouvez mettre du rouge à lèvres à un cochon, ce sera toujours un cochon», a déclaré Barack Obama en provoquant les rires de la foule.

En fin d'après-midi, cette déclaration a fait la manchette de l'un des sites les plus influents de l'internet, celui de Matt Drudge, sous une photo de Sarah Palin, la colistière de John McCain, que le sénateur de l'Illinois n'avait pourtant pas nommée.

Les chaînes d'info continue ont emboîté le pas à Drudge en se demandant si Barack Obama avait comparé la gouverneure de l'Alaska à une truie. Oui, ont répondu leurs invités républicains, qui ont fait le rapprochement entre la déclaration du candidat démocrate et celle de Sarah Palin à la convention républicaine de Saint-Paul («Quelle est la différence entre une hockey mom et un pitbull? Le rouge à lèvres!»).

Non, ont rétorqué les invités démocrates, rappelant que «mettre du rouge à lèvres à un cochon» est une expression courante que même John McCain a employée pour parler des nouvelles propositions d'Hillary Clinton en matière de santé.

L'équipe du candidat républicain n'a certainement pas donné le bénéfice du doute à Barack Obama et a diffusé dès le lendemain une publicité qui accusait le candidat démocrate d'avoir insulté Sarah Palin. L'annonce citait notamment Katie Couric, chef d'antenne de CBS: «Une des grandes leçons de cette campagne, c'est le rôle soutenu et accepté du sexisme en Amérique.»

La déclaration de Katie Couric remontait au printemps et faisait référence au traitement médiatique réservé à Hillary Clinton, des faits que ne mentionnaient évidemment pas la pub républicaine.

Strat�©gie payante

Et la vérité, dans tout ça? À l'ère du Freak Show, elle ne compte guère, expliquent John Harris et Mike Halperin dans leur livre. L'important, ce n'est pas de dire la vérité mais de parler fort, comme le font les Rush Limbaugh et autres animateurs de radio conservateurs, qui jouent également un rôle important dans les «nouveaux médias».

Quant aux «vieux médias», ils font ce qu'ils peuvent. La semaine dernière, plusieurs grands journaux, dans des articles à la une et des éditoriaux, ont reproché à John McCain d'avoir formulé des accusations mensongères ou tendancieuses contre Barack Obama. Ils n'ont pas seulement mentionné l'affaire du cochon, mais aussi une publicité télévisée dans laquelle l'équipe de John McCain affirme que Barack Obama est favorable aux cours d'éducation sexuelle dès la maternelle. En réalité, le sénateur de l'Illinois, à l'époque où il siégeait dans la capitale de cet État, a voté pour un projet de loi visant à apprendre aux enfants à se méfier des prédateurs sexuels. Le texte ne portait pas sur l'éducation sexuelle.

«John McCain est un homme sérieux qui a promis de mener une campagne sérieuse. Qu'il perde ou qu'il gagne, sera-t-il capable de se remémorer cette campagne avec fierté? Pour l'heure, il est difficile de voir comment», a écrit la page éditoriale du Washington Post jeudi.

Les «vieux médias» semblent toutefois dépassés par les événements. Selon les stratèges des deux partis, les attaques mensongères ou tendancieuses de John McCain contre Barack Obama ont contribué à sa remontée dans les sondages. Au bout du compte, il se peut que la vérité finisse par rejoindre le candidat républicain, qui veut succéder à un président dont l'honnêteté a souvent été mise en doute.

Mais le Freak Show n'y sera pour rien.