Evgueni Ursalov et son équipe de sauveteurs volontaires n’ont pas hésité mardi matin quand ils ont eu l’appel paniqué de la cheffe d’une petite communauté campée au bord du Dniepr, dans le sud de l’Ukraine. Avec leurs deux ambulances à quatre roues motrices, ils ont mis le cap sur Sadove.

Une sacrée chance qu’ils n’ont pas perdu une minute, malgré le danger qui les guettait. Sadove est dans une zone dangereuse depuis le début de l’invasion russe. On y trouve habituellement des tireurs embusqués, des drones, des bombardements, décrit M. Ursalov.

Mais mardi, le danger était d’un autre ordre. Après l’explosion du barrage de Nova Kakhovka dans la nuit de lundi à mardi, la petite bourgade en banlieue de Kherson, comme des dizaines d’autres villages, s’est retrouvée sur le chemin des torrents d’eau qui s’échappent de l’immense réservoir éventré. Et des dizaines de milliers de vies se sont retrouvées en péril. Autant dans les territoires que contrôle l’Ukraine que dans ceux occupés par la Russie.

À la demande des autorités, des habitants ont évacué les lieux rapidement, mais pour les personnes très âgées, handicapées ou blessées, c’était une tout autre histoire. Elles avaient besoin d’une véritable escouade de bons samaritains.

« On a stationné l’ambulance à 10 mètres de l’eau. On a couru pour aller chercher des gens à évacuer. Quand on est partis quelques minutes plus tard, l’eau atteignait déjà l’ambulance », raconte Evgueni Ursalov, joint à Kherson à la fin de sa journée marathon.

PHOTO FOURNIE PAR EVGUENI URSALOV

L’ambulance d’Evgueni Ursalov

Du matin au soir, alors que lui et son équipe faisaient tout leur possible, il a regardé l’eau s’emparer des routes. Il a vu des maisons partir à la dérive. Des animaux de compagnie aussi. Il a vu un homme perché sur son toit. « L’eau est complètement imprévisible. Plus la journée avançait, plus ça devenait difficile de se rendre jusqu’aux gens à secourir », note le président et directeur général de CASERS, une organisation médicale qu’il a mise sur pied et qui intervient dans le Donbass et dans les zones qui ont été occupées par la Russie, puis récupérées par l’armée ukrainienne. Les zones « désoccupées » dans lesquelles les services médicaux sont rares, mais où la solidarité est sans borne.

Dans une vie antérieure, Evgueni Ursalov était un homme de start-up. De technologies de l’information. Puis, la guerre de Vladimir Poutine lui est tombée dessus en février 2022 et il s’est trouvé une nouvelle vocation en mettant sur pied une clinique mobile. Depuis, il a vu maintes fois le visage de la souffrance et de la destruction. « Mais ce que j’ai vu [mardi], c’est dans le top 3. Et ce n’est pas fini. On ne sait pas quand l’eau va arrêter de monter », dit-il, projetant de dormir quelques heures avant de retourner dans la zone inondée.

PHOTO FOURNIE PAR EVGUENI URSALOV

Le président et directeur général de CASERS, Evgueni Ursalov

Qui a fait ça ? La Russie accuse l’Ukraine et l’Ukraine, la Russie. Le brouillard de la guerre se dissipe lentement. Mais dans la tête d’Evgueni Ursalov, il n’y a pas l’ombre d’un doute, la destruction du barrage et la catastrophe humaine et environnementale qui en sont le fruit sont l’œuvre des Russes. « Ils ont transformé le barrage en arme pour tuer les gens et faire disparaître le territoire », se désole-t-il. Une arme pour noyer la détermination des Ukrainiens alors que commence une contre-offensive pour reprendre aux mains de l’envahisseur les terres qu’il occupe toujours. Une arme qui continuera de faire des ravages pendant les années à venir.

Pour ma part, je me range derrière le diagnostic qu’a posé mardi le secrétaire général des Nations unies, António Guterres : on n’a pas besoin des résultats d’une enquête très poussée sur l’explosion du barrage pour affirmer que c’est l’invasion russe – le crime originel – qui est d’abord et avant tout responsable de cette tragédie à la fois humaine et environnementale. Comme de centaines d’autres.

« Nous devons gagner cette guerre pour que tout ça s’arrête », plaide en ce sens Evgueni Ursalov. En attendant, avec ses acolytes, il compte continuer à faire barrage.

Consultez le site web de CASERS, l’organisation dirigée par Evgueni Ursalov (en anglais)

Quand Jamala chante

PHOTO PAUL ELLIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

La chanteuse Jamala durant la finale de l’Eurovision 2023, à Liverpool, au Royaume-Uni

Il y a mille et une façons de soutenir l’effort de guerre en Ukraine. La chanteuse Jamala, qui a remporté l’Eurovision pour son pays en 2016, l’a vite compris. Une semaine après le début de l’invasion russe, un concert dont elle était la vedette a permis d’amasser 67 millions d’euros, soit 96 millions de dollars, pour soutenir son pays. Et cette somme a atteint 90 millions d’euros depuis alors qu’elle multiplie les concerts à travers le monde. Mardi soir, c’est à Montréal qu’elle a fait escale. « Ce n’est pas facile de monter sur scène et de se mettre à chanter quand on vient d’apprendre de terribles nouvelles, m’a dit la star en vidéoconférence, en faisant notamment référence à l’explosion du barrage de Nova Kakhovka et aux conséquences gigantesques qui en découleront. C’est dur de trouver sa force pour continuer, mais c’est ma façon de parler, de me guérir. Si je ne chantais pas, j’en mourrais. »