Dans les rues de Copenhague, au Danemark, comme dans celles de Bielefeld, en Allemagne, des centaines de Turcs de la diaspora ont sorti le drapeau de leur pays d’origine pour célébrer la victoire de Recep Tayyip Erdoğan dimanche soir.

Ils ont klaxonné, chanté, agité des fanions tout comme les adeptes du politicien islamo-conservateur l’ont fait à Istanbul et à Ankara en apprenant que leur candidat, l’homme fort qui est à la tête du pays depuis 2003, a remporté un autre mandat de cinq ans avec 52 % du scrutin.

Pourtant, il y a une différence majeure entre ces électeurs qui ont pris part au second tour de l’élection présidentielle turque.

Ceux qui ont voté en France, en Allemagne, en Belgique avec grand enthousiasme pour le président Erdoğan n’ont pas à subir ni ses politiques économiques ultracontestées ni sa répression tous azimuts de l’opposition et de la presse. Ils peuvent se contenter de regarder le pays qu’ils considèrent comme le leur à travers une chaîne de télévision satellite. Sans avoir l’impression de se salir les mains.

À la limite, l’immense dévaluation de la livre turque – résultat des politiques du président – est pour beaucoup de Turcs vivant à l’étranger une bonne nouvelle. Quand ils se rendent en vacances en Turquie, leurs euros, leurs dollars ou encore leurs livres sterling leur donneront l’impression d’être Rockefeller. Vingt livres turques pour un dollar américain, c’est du jamais-vu !

Quand on retourne en Turquie pour passer trois semaines à la plage et rendre visite aux oncles, aux tantes et aux grands-parents, c’est plutôt accommodant. Quand on doit y élever sa famille, payer l’épicerie et acheter des denrées essentielles grâce à des salaires turcs qui ne suivent pas un taux d’inflation qui dépasse 40 % cette année, c’est un tout autre scénario.

Dans de telles circonstances, est-ce donc légitime que les choix politiques des premiers aient un impact sur les seconds ? Et est-ce acceptable de continuer à soutenir un président aux tendances autoritaires tout en vivant soi-même dans une démocratie occidentale ?

Les évènements des dernières semaines en Turquie jettent une lumière crue sur les questions éthiques que soulève la participation active d’une grande diaspora dans une élection cruciale.

Lors du deuxième tour de l’élection présidentielle, les Turcs vivant à l’étranger ont accordé un soutien plus marqué au président Erdoğan que leurs concitoyens vivant en Turquie.

Si, dans le pays, 51,9 % des électeurs l’ont choisi, ce taux est de près de 59,4 % à l’étranger, selon les résultats publiés dimanche par l’agence de presse Anadolu. En Allemagne, un pays qui abrite une diaspora de plus de 3 millions de Turcs, ce soutien a dépassé le cap des 65 %. Tout comme en France, en Arabie saoudite et en Belgique.

Selon les mêmes résultats préliminaires, les Turcs du Canada, des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont pour leur part soutenu à plus de 80 % le candidat de l’opposition Kemal Kiliçdaroğlu, représentant d’une coalition de six partis disparates, allant de la droite nationaliste à la gauche.

On ne peut donc pas parler d’une diaspora homogène, mais pas pour autant représentative de l’électorat de Turquie. D’ailleurs, pendant longtemps, les Turcs de l’étranger n’ont pas eu voix au chapitre lors des élections.

C’est un certain premier ministre appelé Recep Tayyip Erdoğan qui a modifié les règles en 2012 pour que plus de 3 millions de citoyens turcs vivant outre-frontières puissent voter. Quand, en 2017, il a tenu un référendum pour transformer le système politique turc en système présidentiel fort, le soutien de la diaspora a été sans équivoque.

Pourquoi braquer soudainement les projecteurs sur les électeurs turcs qui sont loin de la Corne d’or ? Parce que ce cas d’espèce devrait nous faire réfléchir.

Non seulement le Canada abrite plusieurs diasporas importantes qui peuvent jouer un rôle politique majeur dans des pays étrangers, mais en plus, nous avons nous-mêmes une diaspora canadienne de plus de 3 millions de personnes, éparpillée aux quatre coins du monde. Si ces citoyens canadiens non-résidants exerçaient leur droit de vote en masse, notamment lors de la tenue d’un référendum, ils auraient plus de poids que cinq des dix provinces du pays.

L’élection présidentielle, en Turquie et à l’étranger

  • 52,16 % de l’électorat global a voté pour Recep Tayyip Erdoğan
  • 51,91 % des électeurs en Turquie ont voté pour Erdoğan
  • 59,39 % des électeurs à l’étranger ont voté pour Erdoğan
  • 67,36 % des électeurs turcs en Allemagne ont voté pour Erdoğan
  • 19,14 % des électeurs turcs au Canada ont voté pour Erdoğan