« Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien », dit le personnage de l’architecte japonais à son amante française dans la scène d’ouverture d’Hiroshima mon amour, le chef-d’œuvre de 1959 du cinéaste français Alain Resnais.

L’amante d’un jour, une actrice en plein tournage, lui répond en énumérant tout ce qu’elle a vu dans cette ville japonaise qui a été quasiment réduite à néant par la bombe atomique américaine le 6 août 1945. L’hôpital où les dizaines de milliers de morts et de blessés ont été amenés, le musée où « les gens se promènent en regardant les photographies et les reconstitutions. Faute d’autre chose », les pierres brûlées, les cheveux des femmes qui sont tombés au sol, le soleil qui brûle à « dix mille degrés » sur la place de la Paix.

« Je le sais. La température du soleil sur la place de la Paix. Comment l’ignorer ? », plaide-t-elle alors qu’il lui redit qu’elle n’a rien vu à Hiroshima. Rien. Lui qui a perdu sa famille en entier et qui a été épargné parce qu’il était au front.

On ne sort pas intact du visionnement de ce film de la Nouvelle Vague, tout comme on ne se remet vraiment jamais d’une visite à Hiroshima, une ville aussi belle que tragique.

Cette ville qui se veut le testament grouillant des dangers de l’arme nucléaire a les pieds qui trempent dans la beauté. Ses paysages à couper le souffle inspirent tout autant la réflexion que sa terrible histoire.

C’est cette ville symbolique que le premier ministre japonais, Fumio Kishida, a choisie pour accueillir le sommet annuel des dirigeants du G7, qui débute ce vendredi 19 mai. Et il compte en tirer le maximum, tentant de remettre à l’ordre du jour la question du désarmement nucléaire, un enjeu qu’il mettait déjà de l’avant quand il était ministre des Affaires étrangères.

PHOTO KIYOSHI OTA, FOURNIE PAR REUTERS

Le premier ministre japonais, Fumio Kishida

Pour certains, le moment a l’air vraiment mal choisi. Après tout, la Russie, membre exclu du G8, ne cesse de brandir la menace d’une attaque nucléaire depuis le début de son invasion de l’Ukraine. Parmi les membres actuels du G7, on trouve trois des puissances nucléaires qui peuvent tenir tête au Kremlin, soit les États-Unis, la France et le Royaume-Uni.

De plus, deux autres membres, le Japon et l’Allemagne, qui avaient grandement limité leur militarisation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sont en voie de transformer en profondeur leurs politiques de défense pour faire face aux menaces actuelles en Europe tout comme dans le Pacifique.

À la fin de l’année dernière, le Japon a notamment annoncé de nouvelles stratégies de sécurité et de défense ainsi que l’achat de missiles Tomahawk américains de longue portée. Le pays compte doubler la part de son produit intérieur brut (PIB) qu’il consacre aux dépenses militaires.

La situation est sensiblement la même en Allemagne où le gouvernement d’Olaf Scholz, rempli de pacifistes, prône aujourd’hui une « nouvelle ère » en matière de défense et annonce des investissements majeurs pour atteindre pour la première fois les dépenses militaires cibles de l’OTAN, soit 2 % du PIB, une cible que le Canada a admis ne pas pouvoir atteindre.

C’est donc en pleine course à l’armement que Fumio Kishida tentera de parler de désescalade nucléaire et de paix, lui qui a dit publiquement rêver d’un monde sans armes nucléaires. Lui qui accueillera le président des États-Unis, le pays qui refuse encore à ce jour de présenter ses excuses au Japon pour l’utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki.

Si on peut trouver la démarche malvenue, voire naïve, vous me permettrez de penser le contraire. Il n’y a pas de meilleur moment pour que les dirigeants de sept démocraties industrialisées en mode guerrier prennent une pause devant le cénotaphe à la mémoire des quelque 300 000 victimes d’Hiroshima.

Pas de meilleur moment pour se souvenir des ravages dont leurs pays sont capables. Car si c’est l’impérialisme de la Russie et les ambitions de la Chine qui inquiètent aujourd’hui le G7, les dirigeants des pays qui le composent ne doivent surtout pas oublier qu’ils jouent eux aussi un rôle central dans l’escalade des tensions. Que leurs bonnes intentions portent en elles le potentiel de se transformer en monstre meurtrier.

Il n’y a rien comme le soleil brûlant de la place de la Paix d’Hiroshima pour leur rappeler qu’il faut garder bien en laisse le terrible pouvoir de destruction de la race humaine. Comment l’ignorer ?