Samira* est à la tête d’une organisation s’intéressant à la justice sociale à Kaboul. Selon les nouvelles règles des talibans, elle aurait dû perdre son emploi. Mais au lieu de ça, elle a réussi à les convaincre qu’elle fait de l’« éducation islamique » et a obtenu une exemption.

Profitant du fait que les femmes peuvent toujours travailler pour des entreprises privées, Khatereh* a mis sur pied une entreprise qui produit des serviettes hygiéniques recyclables et continue ainsi d’œuvrer auprès de ses concitoyennes.

Kobra*, elle, est à la tête d’un réseau éducatif dans la ville de Daykundi. Après des pourparlers avec les leaders talibans de sa région, les classes dont elle a la responsabilité fonctionnent à plein régime et permettent à des centaines d’enfants – garçons et filles – de continuer leurs études.

« C’est renversant, la créativité dont font preuve [les femmes afghanes] », me disait mercredi Janti Soeripto lors d’une conversation vidéo.

Cette constatation, la présidente et directrice générale de Save the Children USA l’a faite pas plus tard que la semaine dernière.

Mme Soeripto s’est rendue à Kaboul avec une délégation de représentants d’organisations internationales et des Nations unies pour demander aux talibans de mettre de côté leur décret qui interdit aux femmes de travailler pour des organisations non gouvernementales – étrangères ou locales – depuis fin décembre. Un décret qui met en péril l’aide humanitaire dont 28 millions d’Afghans dépendent.

« On voulait leur faire part de notre mécontentement, demander le retrait de l’interdiction. Et si nous n’obtenions pas ça, nous voulions au moins obtenir plus d’exemptions », relate-t-elle, notant que 40 % des employés de Save the Children en Afghanistan sont des femmes.

C’est dans ce cadre qu’elle a rencontré Samira*, Khatereh* et Kobra*, à qui j’ai donné des noms fictifs pour des raisons de sécurité. « Les femmes afghanes nous disaient : « C’est notre pays, nous voulons être ici. Nous avons toujours travaillé et nous allons continuer à le faire » », raconte Mme Soeripto.

Dans les circonstances actuelles, ça prend une triple dose de courage.

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les talibans ont émis décret après décret limitant les droits et libertés des Afghanes. Ces dernières n’ont plus accès aux écoles secondaires et aux universités, ne peuvent plus travailler dans la fonction publique, doivent se couvrir de la tête aux pieds, sont interdites dans les parcs et dans une myriade d’endroits publics.

Mais malgré tout ça, malgré cette tentative des talibans d’assigner la moitié du pays à résidence, les Afghanes sont toujours visibles dans les rues de Kaboul, dit Mme Soeripto. Envers et contre tous les turbans du pays.

Et cette réunion avec les talibans ? Comment ça s’est passé ?

La délégation a été reçue avec égard, dit la patronne américaine de Save the Children. Cependant, elle n’a pu s’empêcher de remarquer que le « bataillon d’hommes » qui se trouvait de l’autre côté de la table ne formait pas un groupe homogène. Certains n’osaient pas la regarder alors que d’autres semblaient beaucoup plus ouverts à la discussion. Certains s’opposaient à l’interdiction, d’autres pas. « Ils nous ont dit qu’ils nous avaient bien entendus. Qu’ils prenaient le tout en considération. Mais ils ont dit la même chose dans le passé lorsqu’il a été question de l’accès des filles aux écoles et nous n’avons pas eu les résultats escomptés. Alors, nous ne devons pas être naïfs, mais nous devons noter qu’il y a des signes encourageants », ajoute-t-elle.

Les talibans ont récemment accordé des exemptions aux femmes qui travaillent pour des ONG dans le domaine de la santé et de l’éducation primaire.

Save the Children, qui avait mis sur pause ses activités fin décembre, a pu rouvrir ses programmes éducatifs ainsi que ses cliniques qui offrent des soins à des familles afghanes au bord du précipice de la faim. C’est une question de vie ou de mort, pas de politique.

Dans la communauté internationale, la manière de procéder avec les talibans ne fait pas l’unanimité. Refusant de reconnaître le gouvernement de facto, la plupart des pays, y compris le Canada, ont fermé leurs ambassades et rompu tout lien diplomatique. L’aide internationale, elle, continue à se rendre par l’entremise d’organisations sur le terrain.

Si, en 2019, l’Afghanistan a reçu quelque 500 millions US en aide internationale, l’an dernier, c’est 3,2 milliards US qui ont été envoyés dans le pays.

Dans ce contexte, Janti Soeripto est convaincue qu’il est nécessaire d’être à la table avec les talibans pour exercer une certaine influence sur leurs décisions. « La communauté internationale doit accroître sa présence auprès des talibans. Plus d’isolement n’est pas la réponse. On peut être en désaccord avec eux sur beaucoup de choses, mais il existe aussi de petits terrains d’entente », croit-elle.

C’est d’ailleurs dans ces minuscules espaces de flexibilité que les Samira, Khatereh et Kobra de ce monde construisent leurs petits empires de résistance.