Plus le temps passe, plus l’Occident s’engage profondément dans le soutien militaire de l’Ukraine.

Jusqu’où faut-il aller ?

Devant ce que Moscou appelle une « escalade », certains analystes nous disent que les nouveaux équipements militaires ne feront qu’aggraver le conflit. Et qu’il vaudrait mieux négocier avec Poutine.

Mais négocier quoi, au juste ?

C’est par des négociations qu’on était parvenu à un premier cessez-le-feu, en 2014, lors de la « guerre du Donbass », prélude à l’invasion russe de 2022. Cette entente avait vite été bafouée, et il a fallu que la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande se rendent à Moscou rencontrer Vladimir Poutine pour signer un accord renouvelé, Minsk II. Celui-là a un peu mieux tenu (mais pas complètement)… jusqu’à l’an dernier.

PHOTO MIKHAIL KLIMENTYEV, ASSOCIATED PRESS

Le président de la Russie, Vladimir Poutine, en visioconférence avec son conseil de sécurité, vendredi

Maintenant que l’invasion est massive, maintenant que l’ambition ukrainienne du Kremlin est totale, faudrait-il laisser l’Ukraine à elle-même et l’inciter à signer la reddition ?

Évidemment non.

La première chose à considérer, c’est que l’Ukraine est un pays souverain, déterminé à repousser l’agresseur russe.

Je suis toujours renversé d’entendre des commentateurs dessiner de chez eux des règlements, échanger dans leur tête des bouts de territoire d’un pays qui n’est pas le leur comme s’ils jouaient à Risk.

La deuxième considération, c’est bien entendu l’aspect humanitaire. Dans cette invasion, des crimes de guerre sont commis et documentés chaque jour. Comment laisser les gens se faire massacrer dans un pays qui tente de se défendre avec de l’équipement militaire de troisième ordre ?

Oui, me direz-vous, mais s’il n’y avait pas de résistance, il y aurait moins de morts. Alors quoi, les Ukrainiens devraient tout bêtement accepter l’avalement de leur pays ?

Même si une négociation avec le Kremlin était envisageable, il reste un principe bien établi, à la guerre comme dans la vie : mieux vaut ne pas négocier à genoux. Renforcer sa position, faire reculer l’ennemi est donc aussi une nécessité stratégique.

Au début de la guerre, les discours des gouvernements occidentaux étaient fermes, mais les gestes militaires timides – du moins en comparaison des demandes du président ukrainien.

Puis, au fil des mois, on a pu mesurer que les Russes n’avaient peut-être pas les moyens de leurs menaces.

La Chine n’a jamais dénoncé l’invasion et demeure un allié de la Russie. Mais elle n’est pas particulièrement enchantée de cette guerre qui n’ose pas dire son nom en Chine, mais qui coûte cher à tout le monde.

Surtout, elle a mis les choses au clair : l’utilisation des armes nucléaires est « impossible et inadmissible », a dit le ministre des Affaires étrangères de Chine à son homologue russe.

Petit à petit, l’Occident a donc continué à grossir sa contribution. L’Ukraine est maintenant équipée de missiles de défense antiaérienne Patriot. Et bientôt de chars allemands Leopard et de chars américains ultrasophistiqués Abrams.

Moscou parle d’une « escalade », qui serait une façon de faire la guerre à la Russie sans le dire. Mais tout indique que c’est la Russie qui prépare une offensive massive. Raison de plus pour mieux équiper le pays. On n’y enverra jamais de soldats. Mais du moins, on doit équiper les leurs décemment.

Comment cette guerre va-t-elle finir ?

Personne ne le sait, parce qu’on ne sait pas vraiment quels sont les objectifs finaux de Poutine.

Mais comment négocier la paix maintenant avec un chef d’État qui ne reconnaît même pas l’existence de l’Ukraine comme État souverain ?

Les pays occidentaux ne défendent pas seulement l’Ukraine dans cette guerre. Ils défendent aussi un certain ordre mondial. Après l’Ukraine, ce pourraient bien être les pays baltes. Ou les anciennes républiques soviétiques. La Géorgie s’est fait attaquer. Le Kazakhstan, qui a refusé de soutenir la guerre en Ukraine, se rapproche de la Chine, de crainte d’être un jour attaqué par Moscou.

La volonté impérialiste du Kremlin de Poutine ne se manifeste pas seulement dans la rhétorique nationaliste. Elle s’expose sous nos yeux depuis 20 ans.

Négocier avec Poutine ? Maintenant ? Et à quel sujet ?

« L’empire du Tsar naissait de la guerre et il était logique qu’à la fin il retournât à la guerre », dit le « mage du Kremlin » dans le roman-essai du même nom, inspiré des écrits de l’ex-conseiller de Poutine, Vladislav Surkov.

Tout le monde voudrait que cette guerre finisse immédiatement. Comme on voulait éviter une Seconde Guerre mondiale en 1936, 1937, 1938, en négociant avec l’Allemagne nazie en expansion au cœur de l’Europe. Ce n’est pas inutile de le rappeler, au lendemain de l’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz… par l’armée soviétique.

Poutine n’est pas Hitler. Mais la reconquête de l’empire perdu tient lieu d’« espace vital ».

L’histoire nous enseigne que certaines « paix » ne sont pas seulement honteuses. Elles sont aussi dangereuses pour le monde.