Une date presque semblable à celle de l’assaut contre le Congrès américain de janvier 2021. Des manifestants qui dénoncent une élection volée sans preuves à l’appui. Un homme maquillé de la tête au pied et portant une parure de plumes, lui donnant des airs de cousin pas trop éloigné de l’émeutier de Washington le plus reconnaissable.

Depuis dimanche, il ne faut pas chercher trop loin pour trouver des ressemblances entre la fronde violente des derniers jours au Brésil, lancée par des adeptes de l’ex-président Jair Bolsonaro, et celle qui a eu lieu il y a deux ans aux États-Unis, en soutien à un Donald Trump qui niait sa défaite aux urnes.

Comme si l’Histoire avait le hoquet. Comme si on réutilisait la même recette en changeant tout simplement quelques ingrédients. Comme si on peaufinait un modus operandi de la droite radicale et de l’extrême droite à employer encore et encore à travers le monde pour ébranler démocratie après démocratie.

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Ce constat, plutôt effrayant, n’est pas qu’une vue de l’esprit, croit l’ethnographe américain Benjamin Teitelbaum, auteur de War for Eternity (La guerre pour l’éternité), un essai traitant de la montée de la droite populiste et des valeurs traditionalistes qui la sous-tendent aux États-Unis, au Brésil et en Russie. « Oui, nous voyons émerger le potentiel d’un mouvement globalisé [de la droite populiste] qui multiplie les tentatives de coups d’État. Pour le moment, ces tentatives ont échoué, mais ça ne sera peut-être pas toujours le cas, m’a-t-il dit lors d’une entrevue téléphonique. Le style des manifestations et la théâtralité déployée montrent que les participants des divers pays se regardent les uns les autres et qu’ils tirent des leçons de leurs expériences », soutient celui qui s’intéresse au sujet depuis des années. Sa curiosité ne lui attire pas que des fleurs. Pour des raisons de sécurité, il m’a demandé de ne pas dévoiler le lieu où il se trouvait au moment de l’entrevue.

En plus des émeutes brésilienne et américaine s’en prenant à des symboles de l’État et qui se sont soldées par des arrestations massives, M. Teitelbaum met dans le même panier le complot qui a été déjoué par les forces de l’ordre en Allemagne au début du mois de décembre dernier et a mené à l’arrestation de 25 personnes qui rêvaient de mettre au pouvoir un aristocrate déchu. L’objectif dans les trois cas est de détruire le processus civil de passation des pouvoirs, soutient l’expert. De mettre fin à des institutions démocratiques par la force.

Pour comprendre l’internationalisation quelque peu ironique de cette droite populiste qui pourfend pourtant la mondialisation, il a notamment interviewé l’ancien stratège de Donald Trump, Steve Bannon, pendant plus de 20 heures dans les deux années qui ont suivi son départ de la Maison-Blanche, en 2017.

C’est au cours de ces deux mêmes années que la figure de proue de la droite populiste américaine a voyagé à travers le monde, cherchant à créer des alliances tantôt en Europe, tantôt en Amérique latine.

Au Brésil, il a trouvé en Jair Bolsonaro et son fils Eduardo de véritables frères d’esprit qu’il a fréquentés à maintes reprises depuis 2017.

PHOTO ERALDO PERES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jair Bolsonaro

Lundi, au lendemain de l’assaut des émeutiers pro-Bolsonaro contre le Congrès brésilien, le palais abritant le bureau du président et la Cour suprême du pays sud-américain, Steve Bannon, qui est aujourd’hui le maître d’œuvre de la série balado War Room, a loué le courage de ces « combattants de la liberté » brésiliens, une appellation que Bolsonaro, le roi de la formule incendiaire, n’a pas osé utiliser pour parler de ses fidèles.

Cela dit, cette parenté politique ne fait pas du mouvement pro-Bolsonaro un jumeau identique de la droite radicale américaine à la Bannon. « Le discours anti-immigration n’a pas vraiment d’écho au Brésil et l’extrême droite ne s’en est pas saisie », m’a expliqué Viktor Chagas, un expert de la culture politique et professeur à l’Université fédérale Fluminense de Rio de Janeiro. « Par contre, le discours anticommuniste et l’utilisation de toutes sortes de moyens de désinformation ont été au cœur de la campagne de réélection de Bolsonaro. »

Des airs de famille, donc, mais épousant les contours du contexte national.

Éblouis par les ressemblances entre les deux mouvements de rébellion, il serait facile d’occulter les différences plus marquées entre elles. « Les objectifs politiques au Brésil semblent moins clairs que pour le 6-Janvier », remarque David Morin, professeur de science politique à l’Université de Sherbrooke. Aux États-Unis, les émeutiers ont attaqué le Congrès pour arrêter la certification du vote alors que des élus se trouvaient au Capitole, alors qu’au Brésil, les manifestants ont saccagé les lieux de pouvoir un dimanche, jour de congé, remarque-t-il.

Autre différence majeure : le rôle de la police militaire et de l’armée.

Si, aux États-Unis, les forces de l’ordre ont d’abord été prises par surprise avant de rajuster le tir, au Brésil, elles ont carrément ignoré tous les signaux d’alarme et sont maintenant accusées d’avoir agi en soutien aux bolsonaristes. Les émeutiers ont aussi profité de leur coup d’éclat pour demander à l’armée d’intervenir pour renverser le nouveau gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, réveillant le spectre de la dictature militaire qui a gouverné le Brésil jusqu’en 1985.

Contrairement aux États-Unis où la rébellion a été contenue en une seule journée, au Brésil, le ciel est toujours à l’orage politique et les appels à manifester se poursuivent.

La recette utilisée par les manifestants brésiliens est peut-être fort semblable à celle de Washington, le résultat final, lui, menace d’avoir un tout autre goût.