Elle arbore son abondante chevelure avec fierté. Et pour cause. Ses boucles rebelles, piquées d’une éternelle fleur blanche, forment désormais sa signature. Son pied de nez au régime des mollahs.

Depuis New York, la célèbre dissidente iranienne Masih Alinejad porte la voix et la colère des femmes qui, dans son pays d’origine, risquent tout à exhiber la moindre mèche de cheveux en public.

Autrefois journaliste par trop critique à Téhéran, elle a été poussée à l’exil en 2009. Depuis, elle a toujours refusé de se taire. En Iran, sa mère a été menacée, son frère emprisonné, sa sœur paradée devant les caméras pour la désavouer publiquement.

Mais Masih Alinejad ne se tait toujours pas.

Même à New York, la militante de 46 ans n’est pas à l’abri. En juillet dernier, un homme a été arrêté alors qu’il rôdait autour de sa maison, à Brooklyn. Dans sa voiture, on a retrouvé un AK-47 et un paquet de munitions. Sa mission : l’assassiner.

Deux ans plus tôt, le FBI avait déjoué le complot de quatre agents du renseignement iranien chargés de l’enlever et de la ramener en Iran, où elle aurait probablement subi un sort terrible.

Après tout ça, Masih Alinejad devrait trembler de peur.

Mais non. C’est elle qui fait trembler les mollahs.

Au total, elle compte 11 millions d’abonnés sur ses réseaux sociaux. En Iran, les manifestants qui osent lui envoyer des vidéos s’exposent à dix ans de prison. Mais ils le font quand même. Tous les jours. Par milliers.

« Je pèse 100 livres. Je suis une femme minuscule. Je ne possède pas d’arme. Mais le régime, qui a des armes, du pouvoir et des prisons, a peur de moi, s’étonne-t-elle au bout du fil. Pas seulement de moi, mais des gens qui m’envoient des vidéos. C’est ce qui me fait penser que nous allons gagner. »

Pendant des années, le régime a réussi à semer la peur dans la société. Aujourd’hui, il a peur de ses propres adolescents. C’est la fin pour la République islamique.

Masih Alinejad

Depuis bientôt trois mois, la rue iranienne s’agite, gronde et se soulève. Tout a commencé le 16 septembre, avec la mort de Mahsa Amini, femme kurde de 22 ans tuée pour un voile mal porté.

Mais le combat de Masih Alinejad contre le hijab obligatoire en Iran dure depuis plus longtemps. Dès 2014, elle a lancé la page Facebook « Ma liberté furtive », dans laquelle elle encourageait les Iraniennes à se dévoiler en public, à se filmer et à diffuser le résultat.

Une première fissure est alors apparue dans ce que Masih Alinejad appelle le « mur de Berlin » du régime des mollahs. « Si le peuple d’Iran fait tomber ce mur, la République islamique n’existera plus. » De cela, la frêle dissidente à la crinière de lion est fermement convaincue.

Le hijab obligatoire est le principal pilier de la dictature religieuse. Nous ne manifestons pas contre un simple bout de tissu. Nous manifestons contre l’un des symboles les plus visibles de l’oppression.

Masih Alinejad

Forcer les femmes à porter le hijab est une façon pour les mollahs de contrôler la société tout entière, explique-t-elle. « Pour eux, nos corps sont une plateforme politique, sur laquelle ils écrivent leur idéologie. »

Mais ça ne reste qu’un symbole, aussi puissant soit-il. Masih Alinejad souligne d’ailleurs que les slogans scandés dans les rues d’Iran ne concernent jamais le port du hijab obligatoire. « Ça va plus loin que ça. Les gens manifestent contre l’apartheid sexuel. Ils veulent la démocratie. Ils veulent la dignité. »

Le 11 novembre, Masih Alinejad a eu droit à un tête-à-tête avec Emmanuel Macron, à l’Élysée. Quelques semaines plus tôt, le président de la République française avait serré la main de son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Ce n’était pas passé inaperçu.

« J’ai dit au président Macron que les Iraniens étaient furieux du fait qu’il avait serré la main de ce meurtrier », raconte Masih Alinejad. Le président a plaidé l’importance de la diplomatie française. Elle lui a rétorqué que la révolution était aussi un concept cher à la France.

Dans un communiqué de presse, ce soir-là, Emmanuel Macron a salué « la révolution » menée par les femmes iraniennes. Téhéran a aussitôt qualifié les déclarations du président de « regrettables et honteuses ». Masih Alinejad, elle, était ravie. « La France est le premier pays occidental à reconnaître le soulèvement pour ce qu’il est : une révolution. »

« Je ne dis pas que cela va se produire demain matin. Mais la révolution commence dans les cœurs. Les Iraniens croient que, cette fois, c’est différent. Il y a un sentiment d’unité entre les Kurdes, les Turcs, les Baloutches, les Arabes, les Perses. Ce n’est pas juste l’affaire de la classe moyenne ni des jeunes générations ; cette fois, leurs parents manifestent avec eux. »

Il y a des hommes dans les rues qui soutiennent leurs sœurs, leurs filles, leurs mères. Ils marchent vers les forces de sécurité, prêts à se sacrifier pour la liberté. C’est ça, la révolution. Plus le régime tue, plus le peuple est déterminé à retourner dans la rue. Plus il tue, plus les gens sont braves et en colère.

Masih Alinejad

Au Québec, vendredi, les élus de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité une motion pour condamner « la répression des femmes en Iran sous un régime théocratique oppressif ».

« On pose aujourd’hui un premier geste, a dit la députée solidaire Ruba Ghazal, qui a lancé l’initiative. Il faudra tout faire en notre pouvoir pour que la révolution ne s’essouffle pas et pour que ce régime infâme tombe. »

Masih Alinejad ne peut qu’applaudir à une déclaration aussi forte. La dissidente appelle toutes les démocraties occidentales à rompre leurs liens diplomatiques avec l’Iran. À ne plus serrer la main des dictateurs. « Ce n’est pas une demande radicale. Près de 600 Iraniens ont été tués, dont 62 enfants. Et 15 000 personnes sont en prison en ce moment », rappelle-t-elle.

« Tôt ou tard, les Iraniens réussiront à se débarrasser de la République islamique. Mais, avec le soutien des leaders de pays démocratiques comme Justin Trudeau, Emmanuel Macron et Joe Biden, moins d’innocents seront tués. Je ne crois pas que ce soit trop demander. »