La violence contre les femmes en Iran, Zar Amir Ebrahimi la connaît bien. Trop bien. L’actrice – rendue célèbre par un téléroman des années 2000 – a dû fuir son pays après qu’une vidéo de ses ébats sexuels avec son amoureux a fait l’objet d’une fuite. Et d’un immense scandale.

Fuir donc avant de faire face à la justice de la République islamique, qui aurait pu l’emprisonner et lui assener des coups de fouet.

Fuir ses collègues et ses amis, hommes comme femmes, qui « se sont permis de [la] regarder, de [la] juger et de [la] détruire », dit-elle.

Fuir une société réprimée, qu’elle qualifie de « malade du sexe ».

Mais voilà qu’aujourd’hui, alors qu’elle est citoyenne française, Zar Amir Ebrahimi rêve de retourner dans ce même pays qui l’a tellement malmenée. Pour faire partie du soulèvement qui secoue la dictature des ayatollahs depuis deux mois déjà. Pour épauler les jeunes femmes qui ont été l’impulsion de cette immense vague de protestation, aujourd’hui muée en désir de révolution.

Je devrais être dans la rue avec ces filles, mais je sais que si j’arrive en Iran, on m’arrêtera à l’aéroport et je ne serai utile à personne, me dit-elle, lors d’une entrevue par vidéoconférence à partir de Los Angeles. Ma position est absurde et c’est aussi celle de toute la diaspora iranienne. On voudrait être en Iran, on veut être utile, on essaie d’être l’écho de la voix des manifestantes, mais c’est difficile.

Zar Amir Ebrahimi

Pourtant, Zar Amir Ebrahimi a la parfaite excuse pour s’adresser au monde entier au nom de ses sœurs iraniennes. Ces jours-ci, elle fait la promotion du film Les nuits de Mashhad, actuellement à l’affiche au Québec. Pour son rôle dans ce long métrage d’Ali Abbasi, l’actrice de 41 ans a reçu le prix de la meilleure interprétation féminine au Festival de Cannes en juin dernier.

Voyez la bande-annonce du film Les nuits de Mashhad (Holy Spider)

Et, dans le contexte iranien, cette œuvre pourrait difficilement être plus pertinente. On y raconte de manière romancée l’histoire d’un véritable tueur en série, Saïd Hanaei, qui a assassiné 16 prostituées dans la ville sainte de Mashhad entre juillet 2000 et juillet 2001. Ce vétéran de la guerre Iran-Irak, alors âgé de 39 ans, marié et père de famille, a commis ces crimes en pensant répondre à une mission divine. Avant d’être exécuté, celui qu’on surnommait le « tueur araignée » avait le soutien d’une partie de la société iranienne.

Je connaissais déjà cette histoire. Le cinéaste canado-iranien Maziar Bahari a tourné un documentaire absolument déconcertant sur cette affaire, interviewant le meurtrier lui-même ainsi que ses proches qui en chantaient les louanges.

Voyez le documentaire de Maziar Bahari And Along Came a Spider (en perse, sous-titré en anglais)

Le film d’Ali Abbasi – en forme de thriller – nous amène ailleurs. Le réalisateur, qui a tourné son film en Jordanie pour échapper à la censure, plonge dans les recoins les plus noirs de la misogynie ambiante qui règne en Iran et qui va bien au-delà des diktats du régime islamiste.

« Toutes les femmes, toutes les jeunes filles en Iran vivent du harcèlement. Dans les taxis, où on s’entasse à cinq ou six personnes, une fois sur deux le mec assis à côté de moi me touchait, raconte Zar Amir Ebrahimi.

Quand je marchais dans la rue, il m’est arrivé que quelqu’un me pousse contre le mur pour me toucher. Si j’avais un morceau de peau qui dépassait, le mec de l’autre côté de la rue me regardait comme si j’étais nue. Tout ça, c’est culturel, ce n’est pas seulement le gouvernement.

Zar Amir Ebrahimi

« Cependant, ce gouvernement n’a pas aidé avec son idéologie du nouvel islam pour contrôler les gens, contrôler leurs corps. On est tous devenus malades sexuels à cause de la contrainte qu’on a vécue sous ce gouvernement », laisse-t-elle tomber, sans détour.

Pour guérir cette maladie, ajoute-t-elle, il faut plus qu’un changement de gouvernement, il faut aussi une immense prise de conscience collective. Et en regardant les Iraniennes et les Iraniens scander « Femme, vie, liberté » côte à côte, en observant les immenses élans de solidarité aux quatre coins du pays, elle a bien l’impression qu’il y a dans la rue deux révolutions en une.

« En Iran, quand j’ai fait face au scandale, je me demandais comment mes collègues et les jeunes femmes qui vivent des libertés cachées en Iran, celles qui font l’amour et qui font la fête, comment ces femmes pouvaient me juger ! Aujourd’hui, elles ont bien changé, elles n’ont peur de rien. Elles ont vu des filles, comme moi, mettre leur vie en danger pour défendre leurs droits, refusant d’être des victimes. Ça a eu un impact, dit-elle. Les femmes, quand on est solidaires, on peut vraiment tout faire. »

C’est donc dans cet esprit de solidarité retrouvée que Zar Amir Ebrahimi prend la parole aujourd’hui. À ses risques et périls. Le régime islamiste, qui s’en prend régulièrement à ses opposants à l’étranger, a déjà dénoncé l’actrice et le film dont elle est la vedette, y voyant une insulte à tous les musulmans et à la population chiite.

« Une fois qu’on décide de faire des films sur l’Iran, on accepte de vivre avec le danger, concède la star des Nuits de Mashhad. Tout ce que je dis me met en danger. Ça met ma famille en danger. Mais c’est ma vie, ma vie d’Iranienne. »