Le régime égyptien a beau tenter de montrer au monde entier à quel point il est beau, vert et gentil en pleine conférence de l’ONU sur le climat, l’opération charme de la COP27 sous les palmiers de Charm el-Cheikh ne berne personne.

C’est charmant, Charm el-Cheikh, je ne dis pas le contraire. J’ai eu la chance d’y passer du temps dans ma jeunesse. J’en garde de magnifiques souvenirs. Mais l’image qui me vient à l’esprit quand je vois le sort que l’État égyptien réserve à ses dissidents en pleine COP27 n’a hélas rien de charmant. Ce n’est pas une jolie carte postale de la mer Rouge scintillante, mais plutôt des scènes de répression dont j’ai été témoin des années plus tard, en reportage en Égypte au lendemain d’un Printemps arabe qui déchantait. Place Tahrir, j’avais été à la fois horrifiée par la cruauté des policiers antiémeute qui tiraient sur les manifestants et soufflée par l’incroyable courage des journalistes et des militants prodémocratie égyptiens rêvant d’un monde meilleur.

Plus de 10 ans plus tard, on compte quelque 60 000 prisonniers politiques en Égypte, attendant encore la démocratie.

Le plus célèbre est l’écrivain égypto-britannique Alaa Abdel Fattah, icône de la révolution de 2011. Jeudi, jour international de solidarité avec les prisonniers politiques d’Égypte, des centaines de participants à la COP27 se sont habillés de blanc comme les prisonniers égyptiens pour réclamer la libération de tous les détenus politiques, dont celle d’Alaa Abdel Fattah, en danger de mort après sept mois de grève de la faim. Depuis dimanche, alors que les yeux du monde sont rivés sur le pays hôte du sommet, le blogueur prodémocratie a accentué ses moyens de pression en refusant même de boire de l’eau.

La famille du détenu, qui est sans nouvelles de lui depuis plusieurs jours, craint qu’il ne soit soumis à la torture, nourri de force par les autorités égyptiennes soucieuses de ne pas avoir un mort embarrassant dans l’une de leurs prisons alors que la « grande visite » de la COP27 est encore là. L’inquiétude a encore monté d’un cran après que les autorités eurent annoncé à la mère d’Alaa Abdel Fattah qu’il était désormais « sous traitement médical » et refusé une visite à son avocat. Même si la justice égyptienne a affirmé jeudi qu’il était « en bonne santé », ses défenseurs craignent le pire.

PHOTO AMR NABIL, ASSOCIATED PRESS

Laila Soueif, la mère du militant prodémocratie Alaa Abdel Fattah, tenant une photo de son fils

« Nous savons que [les autorités égyptiennes] seraient heureuses pour lui qu’il meure, elles veulent juste que ça n’arrive pas pendant que le monde les regarde. Mais le monde regarde », a déclaré, mardi, sa sœur Sanaa Seif, qui s’est rendue à Charm el-Cheikh dans l’espoir de profiter de l’attention médiatique de la COP27 pour mettre davantage de pression sur le régime d’Abdel Fattah al-Sissi et sauver la vie de son frère.

Une conférence de presse en soutien à Alaa Abdel Fattah organisée en marge du sommet sur le climat n’a évidemment pas plu au gouvernement, qui tente d’écoblanchir son image. Le service de sécurité de l’ONU a dû expulser un député égyptien progouvernement qui s’en était pris à la sœur du blogueur, niant qu’Alaa Abdel Fattah soit un prisonnier politique.

PHOTO FAYEZ NURELDINE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Sanaa Seif, la soeur du militant égyptien Alaa Abdel Fattah

Alors que les Nations unies, tout comme plusieurs dirigeants, ont réclamé sa libération immédiate, l’Égypte a vu dans cet appel une « insulte inacceptable » et a appelé ironiquement l’ONU à plus de neutralité.

Comme le disait Desmond Tutu, rester neutre face à l’injustice n’a absolument rien de neutre… C’est prendre le parti de l’oppresseur.

Dans le cas qui nous concerne, ce serait choisir le camp d’un État qui a un bilan catastrophique en matière de droits de la personne. L’Égypte est 135e sur 140 pays au classement mondial de l’État de droit du World Justice Project. Au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le pays est 168e sur 180 pays.

Consultez le rapport du World Justice Project (en anglais) Consultez le classement mondial de Reporters sans frontières

La justice égyptienne a officiellement condamné Alaa Abdel Fattah à cinq ans de prison pour « diffusion de fausses informations » pour un tweet dénonçant la mort d’un détenu sous la torture.

Son véritable « crime » ? Avoir cru comme des millions de jeunes en Égypte qu’un autre monde était possible, croit sa mère, Laila Soueif, mathématicienne et elle-même militante des droits de la personne.

Pour avoir voulu changer le monde et l’avoir écrit, Alaa Abdel Fattah, qui n’en était pas à son premier séjour dans une cellule, a déjà passé le quart de sa vie en prison. En Égypte et ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer sa libération sous le mot-clic #freealaa. Deux jours avant l’ouverture de la COP27, 16 Prix Nobel, dont Annie Ernaux, Wole Soyinka et Svetlana Alexievitch, ont exhorté dans une lettre ouverte parue dans Le Monde tous les participants au sommet de Charm el-Cheikh à ne pas oublier Alaa Abdel Fattah ni les milliers de prisonniers politiques égyptiens.

Lisez la lettre ouverte parue dans Le Monde

Tous devraient faire tout en leur pouvoir pour protéger les plus vulnérables « non seulement de la montée des eaux, mais aussi de l’emprisonnement et de l’oubli ».

Car comme l’a répété cette semaine Greta Thunberg, en réclamant la libération d’Alaa Abdel Fattah et de tous les prisonniers coupables d’avoir rêvé d’un monde meilleur : « Il n’y a pas de justice climatique sans justice sociale et sans droits de la personne. »