(Londres) Élisabeth II aimait répéter que pour être crue, elle devait être vue. Mercredi, alors que la reine a quitté à jamais le palais de Buckingham – sa résidence officielle pendant 70 ans –, ils étaient nombreux, ses croyants, à venir la voir une dernière fois.

« Je ne voulais pas regarder ça à la télévision. Je voulais vivre ce moment, là. Être là pour cette femme qui fait partie de ma vie depuis toujours. Dans mes Noëls, dans les grands évènements, dans tellement de moments importants », m’a dit Susie Puckett, de Norfolk-on-the-Sea, dès que j’ai décidé de m’installer à côté d’elle et de sa fille, Hettie, pour attendre pendant trois bonnes heures le défilé du cercueil de la reine.

Nous avions un emplacement de choix. Juste devant le poste de commandement de la garde montée royale, le Horse Guards Parade, et à l’angle de la rue Whitehall. À deux pas de Downing Street. Un carrefour qui encapsule le Royaume-Uni en reliant les symboles de la royauté, de la démocratie et de l’Église anglicane.

À bien y penser, j’étais là pour sensiblement les mêmes raisons que Mme Puckett. Après une semaine à Londres pour couvrir la transition royale, à intellectualiser le rôle historique de la souveraine disparue et le sort de ceux qui la suivront, à trouver que les cérémonies et la couverture médiatique entourant sa mort sont quelque peu immodérées, j’avais envie de m’approcher d’Élisabeth II et de ceux qui la pleurent. De prendre un bain de foule, un bain de deuil. D’être là.

Et j’ai été servie. Nous étions des dizaines de milliers, entassés comme des sardines, tout le long du trajet du défilé qui a mené la dépouille de la reine du palais de Buckingham au Westminster Hall. Dans ce grand hall du XIe siècle, elle recevra jusqu’à lundi les derniers torrents d’amour de ses plus fervents admirateurs. Ceux qui sont prêts à attendre jusqu’à 30 heures pour s’approcher de son cercueil.

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Hettie et Susie Puckett, de Norfolk-on-the-sea, et David Mercer, de Liverpool.

Je n’en suis pas, mais force est d’admettre cependant qu’Élisabeth II a toujours fait partie de ma vie. Dans les Paris Match de mon père depuis l’enfance. Dans mon portefeuille. Sur mes lettres. Dans ma télévision. En tant que chef d’État symbolique de mon pays.

L’émotion des Britanniques en deuil allait-elle finir par me gagner, moi qui ai la larme empathique facile ?

« Ah ! moi aussi », m’a dit David Mercer, un autre compagnon d’attente, qui avait fait le voyage à partir de Liverpool pour rendre un dernier hommage à « sa » reine. « Ah ! J’aurais aimé qu’elle vive jusqu’à 100 ans. Un peu plus et elle aurait été le monarque avec le plus long règne de l’histoire », s’est-il exclamé avant de m’offrir une pomme. Pour tolérer l’attente. En toute camaraderie.

Rien, mais absolument rien n’a été laissé au hasard par les organisateurs du défilé de mercredi. Tout le centre de Londres au-dessus de la Tamise a été fermé à la circulation pour la majeure partie de la journée. Le calme ambiant invitait à la solennité, à la réflexion.

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Des policiers arrivent au palais de Buckingham pour assurer la sécurité.

Une véritable armée de policiers – des bobbies – a été déployée dans les rues de la ville pour guider les endeuillés et les curieux, pour indiquer tantôt le meilleur moyen de se frayer un chemin dans la foule, tantôt la toilette la plus proche.

Des tireurs à vue étaient visibles sur les toits de la ville et des ambulanciers ont été déployés dans les rues. Le tout avait des airs de répétition générale pour les funérailles de lundi prochain, auxquelles plus d’une centaine de chefs d’État et de gouvernement sont attendus. Mercredi, nous étions des dizaines de milliers. Lundi, plus de 1 million de personnes sont attendues.

Les conversations amicales qui trompaient l’attente ont cessé d’un coup quand les premiers coups de fusil se sont fait entendre. Précédé de la garde royale et de ses impressionnants Bearskin ainsi que de la cavalerie royale, le cercueil de la reine, orné de sa couronne et de l’étendard royal, a commencé son défilé à 14 h 22 précises. À 14 h 40, le cortège, auquel participaient les enfants d’Élisabeth II et ses petits-fils, apparaissait devant nous.

Des larmes discrètes coulaient sur le visage de mes nouveaux compagnons, mais pas sur le mien.

Nous nous sommes quittés sur un sourire chaleureux. Un petit geste spontané pour ces amis de circonstance, à qui j’ai ainsi pu offrir mes condoléances.

Car il est là le rôle des visiteurs internationaux ces jours-ci à Londres : faute de pouvoir partager complètement le deuil des Britanniques, nous sommes les cousins lointains venus leur serrer la main.