(Faversham) Sur papier, le projet est alléchant. Un village carboneutre, avec d’immenses jardins et 2500 maisons alimentées en énergie propre. Juste à côté de l’un des plus beaux villages historiques du Kent.

L’homme derrière ce projet d’écovillage ? Celui qu’on appelait le prince Charles et le duc de Cornouailles jusqu’à la mort de sa mère jeudi.

Celui qu’on a proclamé roi samedi.

Charles III.

L’écovillage de Faversham est l’un des derniers projets verts qu’il a portés dans ses habits de prince. Pas le premier. Pendant 50 ans, le fils aîné d’Élisabeth II a été un fervent défenseur de l’environnement. Sa fondation, qui recueille 100 millions de livres sterling par année, a investi dans une myriade de projets de conservation et de lutte contre les changements climatiques.

Dans le village de Faversham, cependant, l’écovillage qui doit être construit en 2023 sur les terrains du duché de Cornouailles est davantage source de railleries que de bons sentiments.

« Charles dit que son projet est vert, mais c’est surtout une façon de faire de l’argent en construisant du résidentiel sur des terres agricoles de premier choix », m’a lancé une agricultrice qui vendait ses produits dans le célèbre marché du village, créé neuf siècles plus tôt. Sa colère était telle qu’elle est partie en ronchonnant pendant que je lui posais des questions.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

Une affiche de protestation contre les nouveaux projets immobiliers à Faversham, incluant celui lancé par Charles III

« C’est vrai qu’il y a des contradictions dans ce projet, a ajouté Catherine Lee, une bénévole du petit musée et centre d’information de Faversham. Mais ce qui inquiète surtout, c’est qu’il y a plusieurs projets résidentiels en même temps, et les gens de la ville se demandent comment nous allons pouvoir accueillir tous ces gens avec nos ressources actuelles. Cela dit, ça n’a pas beaucoup aidé la réputation de Charles », a-t-elle ajouté avant de me montrer l’exemplaire original de la Grande Charte que possède Faversham, un document légal remontant au XIIIsiècle, l’un des petits joyaux de cette ville historique de quelque 20 000 habitants.

L’histoire de l’écovillage contesté illustre comment un projet paraissant inoffensif peut rapidement devenir politique. Et s’il y a une chose qu’Élisabeth II fuyait comme la peste, c’était bien de se retrouver prise à partie dans un débat de la sorte. Éviter d’énoncer son opinion pendant 70 ans alors qu’on passe sa vie à rencontrer des politiciens, des décideurs de toutes sortes et des citoyens, c’est plus qu’un talent, c’est une vocation. Et la reine en a fait son credo.

Dans son premier discours depuis son accession au trône, Charles III a promis de marcher dans les pas de sa mère. « Ma vie va bien sûr changer alors que j’assume mes nouvelles responsabilités. Il ne me sera plus possible de consacrer autant de temps et d’énergie aux œuvres charitables et aux enjeux qui me tiennent profondément à cœur », a dit le nouveau roi.

Bye, bye, donc, son plaidoyer pour convaincre les plus grandes entreprises du monde de prendre le virage vert ? Ciao, ciao, la planification de ses voyages en tenant compte de son empreinte carbone ?

À Faversham, on ne lui en demande pas tant. « À quoi ça aura servi d’acquérir autant de connaissances sur un sujet pendant 50 ans si ce n’est pas pour en faire profiter le pays ? », demande Christine Chaffin, rencontrée dans une librairie de livres d’occasion. « Il doit partager ses connaissances, mais sans se mêler de politique », dit-elle.

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Sur la rue Abbey, les habitants de Faversham discutaient de politique et de succession royale en prenant un verre au soleil.

Parmi la quinzaine de personnes interrogées pour cette chronique, presque toutes partageaient ce point de vue. Leur nouveau roi devrait continuer à porter son étendard vert, mais en s’élevant au-dessus de la mêlée et en évitant toute interférence en faveur de telle ou telle solution. De telle ou telle loi.

Pas facile pour un ancien prince qui a été sous les projecteurs après avoir envoyé des lettres privées à des ministres et autres élus au cours des ans. Ces lettres ont même acquis un surnom, les « mémos de l’araignée noire », une référence à la calligraphie du nouveau roi.

Est-ce que Charles III pourrait trouver le ton juste ? Ce serait sans aucun doute un véritable travail d’équilibriste, mais le jeu en vaut certainement la chandelle.

La monarchie — aussi traditionnelle et protocolaire soit-elle — n’est pas coulée dans un bloc de béton et est appelée à évoluer. Et s’il y a une cause qui semble porteuse, c’est bien celle de l’environnement.

Après un été de chaleurs torrides et devant la hausse fulgurante de leurs factures d’électricité, beaucoup de Britanniques ont envie d’entendre parler de sources alternatives d’énergie et de développement durable.

Dans ces circonstances, un premier roi vert semble arriver à point nommé. Plus qu’un roi beige.

Après tout, n’est-ce pas le travail principal du monarque d’assurer la pérennité de son peuple ?

À propos de la grand-mère d’Élisabeth II

Il serait trop facile de mettre sur le dos du décalage horaire l’erreur que j’ai faite dans ma première chronique londonienne publiée samedi dans La Presse, « Ce qu’il reste de Lilibet ». Non, la reine Victoria n’est pas la grand-mère d’Élisabeth II, comme le disait l’article. C’est plutôt Mary de Teck qui était sa grand-mère. Et puisqu’elle est morte 25 ans avant la naissance d’Élisabeth, Victoria n’a évidemment pas eu son mot à dire sur le choix du nom de sa descendante. En fait, les parents d’Elizabeth Alexandra Mary (le nom de naissance d’Élisabeth II) n’ont pas cru nécessaire de donner à la fillette le nom de sa célèbre trisaïeule parce qu’il était improbable qu’elle accède au trône. Toutes mes excuses. Mais, entre vous et moi, c’est quand même un peu la faute du décalage horaire.

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