Et si pour le 25e anniversaire de leurs morts respectives, survenues à moins d’une semaine l’une de l’autre en 1997, Lady Di et mère Teresa décidaient d’enregistrer un épisode de l’émission L’autre midi à la table d’à côté, de quoi parleraient-elles ? Je me suis permis d’imaginer leur conversation.

— Bonjour, Diana, merci d’avoir accepté de me rencontrer sur un nuage juste au-dessus de Skopje, la ville qui m’a vue naître. Ce n’est pas aussi chic que Clarence House ou que la villa de Dodi al-Fayed à Saint-Tropez.

Diana rit discrètement.

— Le plaisir est pour moi, chère mère Teresa. Vous savez que votre chemin a beaucoup éclairé le mien. Vous rencontrer à Calcutta alors que j’étais en pleine tourmente maritale m’a permis d’alléger ma peine. Après avoir visité vos œuvres à Calcutta et dans le Bronx, j’ai redoublé d’efforts pour soutenir les causes qui étaient chères à mon cœur.

— Nous avons été des alliées improbables, toutes les deux, Diana. Pendant que j’accueillais les lépreux et les sidéens dans mes hospices, vous avez travaillé à combattre les préjugés en leur tenant la main. Peu de célébrités à l’époque avaient ce courage. Je pense que ça vous a d’ailleurs valu un « ticket pour le paradis ».

— Ummm, c’est drôle que vous parliez des billets pour le paradis, mère Teresa. Depuis votre mort, on a maintes fois critiqué l’approche de vos missionnaires dans certains de vos établissements qui sont de véritables mouroirs. Des bénévoles qui y ont travaillé ont rapporté que vous et les membres de votre congrégation baptisiez des mourants — à leur insu, la plupart du temps – après leur avoir demandé s’ils voulaient justement un billet pour le paradis.

— J’ai été beaucoup critiquée après ma mort. Pour cette pratique, mais aussi parce que j’ai accepté des dons de sources douteuses. De plus, on a dénoncé la gestion opaque de l’argent qui m’a été donné pour les pauvres. On m’a aussi reproché mes opinions ultraconservatrices sur l’avortement et le divorce. Mais malgré ces critiques, la congrégation que j’ai fondée en 1950, les Missionnaires de la charité, se porte bien aujourd’hui. On compte dans ses rangs plus de 5000 religieuses, soit presque 1200 de plus qu’à ma mort en 1997. Mes filles travaillent dans des centaines d’établissements à travers le monde auprès des « plus pauvres des pauvres ». C’est mon ancienne secrétaire, sœur Joseph Michael, née dans le Kerala en Inde, qui vient de reprendre les rênes de tout ça. J’en suis bien heureuse. Ça aidera certainement la congrégation à faire face au gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi qui se méfie comme la peste des missionnaires chrétiens dans son pays.

— Vous savez, mère Teresa, je ne compte pas vous envoyer la première pierre. On m’a, moi aussi, beaucoup critiquée. D’abord parce que j’ai osé parler de ma vie privée et de la trahison de Charles en public, brisant une règle d’or de la famille royale, mais aussi à cause de ma relation amour-haine avec les médias. On dit que je les utilisais un jour et les fuyais le lendemain. Cependant, quand j’y repense, ce n’est pas ce que je retiens de mon passage sur terre. Je vois surtout mes deux garçons, William et Harry, qui poursuivent leur chemin chacun à sa manière. Harry, à son tour, défie sa grand-mère et les règles de la monarchie. Go, Harry ! Et je vois que les causes qui nous tenaient à cœur, à vous et à moi, ont continué d’avoir des échos.

— Vous avez raison, Diana. L’épidémie du sida, qui nous a tant préoccupées toutes les deux de notre vivant, n’a plus le même visage. L’année de notre disparition, 2,3 millions de personnes sont mortes à travers le monde de cette maladie. Aujourd’hui, il y a toujours autant de porteurs du VIH dans le monde, mais la maladie tue 75 % moins de gens. Ah ! La science a fait là des miracles.

— Bien dit. Et c’est vrai que la pauvreté a été en régression constante depuis notre départ. En 1997, près de deux milliards d’êtres humains sur la planète vivaient dans la pauvreté extrême, avec moins de 1,90 $ par jour. C’était presque 35 % de la population mondiale et maintenant, 25 ans plus tard, c’est 9 % des habitants de la planète qui sont dans cette situation. C’est quand même extraordinaire, non ?

— Oui, d’autant plus que ce sont notamment les progrès de l’Inde, ce pays où j’ai vécu presque toute ma vie, qui expliquent cette embellie. De l’Inde et de la Chine voisine. Cela dit, si j’étais encore sur terre, il me resterait amplement de boulot. C’est quand même un enfant de Dieu sur deux qui vit avec moins de 5 $ par jour. Et les inégalités n’ont fait que se creuser.

— C’est vrai, c’est assez désespérant, mais disons que je dois faire attention quand je parle des inégalités. Après tout, je suis née de la cuisse de Jupiter et j’ai vécu sur l’Olympe des privilégiés, contrairement à vous, qui êtes née dans une famille bien nantie de l’Empire ottoman, mais qui avez choisi de vivre le plus simplement du monde.

— Je pense qu’aujourd’hui, certains me reprocheraient mon manque de conscience environnementale. Disons que j’ai pris beaucoup d’avions de mon vivant.

Un ange passe.

— Dites-moi, Diana, avez-vous été surprise par l’immense vague de sympathie qui a déferlé après votre mort ?

— Surprise ? Abasourdie serait le mot juste. De mal-aimée dans mon mariage et dans ma belle-famille, je suis devenue la chérie de milliards de personnes dans la mort. On a fait de moi une icône, une espèce de sainte laïque. À un point tel que ma mort a fait de l’ombre à la vôtre.

— Oh ! Diana, je ne m’en plains pas. J’ai été béatifiée et canonisée par l’Église catholique plus rapidement qu’aucun autre saint ou sainte de l’Histoire. Ça a aussi réveillé mes plus fervents critiques.

— Oui, vous et moi sommes bien placées pour constater qu’une auréole, c’est aussi lourd à porter qu’une couronne !