Annalena Baerbock n’avait que 2 ans quand ses parents ont commencé à l’emmener dans des manifestations. Des manifestations pour dénoncer l’OTAN et la présence d’une base militaire de l’organisation sur le sol allemand. Quatre décennies plus tard, celle qui est ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne depuis décembre dernier dit être une des « plus grandes admiratrices » de l’alliance militaire transatlantique.

Tout un virage ? Absolument. Pour Mme Baerbock comme pour l’Allemagne, qui vivait dans la sobriété militaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie aura tout changé. Non seulement le pays européen s’est engagé à envoyer directement des armes à l’Ukraine — une grande première –, mais le gouvernement de coalition composé des Verts et des sociodémocrates a aussi augmenté le budget militaire du pays de manière appréciable au cours des six derniers mois.

Ce revirement ne fait pas l’unanimité. D’ailleurs, lors du passage de la ministre allemande à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain le 3 août dernier, des manifestants n’ont pas manqué d’accuser Mme Baerbock de trahir les idées des Verts, le parti dans lequel elle a grandi et dont elle est la cheffe depuis 2009.

PHOTO ALEXIS AUBIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, lors d’un discours le 3 août dernier devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Loin de perdre son sang-froid, la politicienne a répondu directement à la critique. « Mon parti croit qu’on doit utiliser la force militaire en tout dernier recours, mais nous croyons aussi que nous avons la responsabilité de nous assurer qu’un génocide n’aura pas lieu à nouveau », a dit Mme Baerbock à ses détracteurs.

Trouver l’équilibre entre ces deux idéaux n’est pas simple. « Mais si nous devons choisir entre les agresseurs et les victimes, nous choisissons les victimes », a noté la ministre.

Ces mutations dans la politique étrangère allemande ne sont qu’une des conséquences évidentes de l’invasion russe sur le système international qui a poussé dans les cendres de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce système, on trouve bien sûr l’OTAN, mais aussi l’Union européenne (UE) et les Nations unies.

« Oui, il y a du mouvement dans ce système, mais il ne va pas dans une seule direction », note Laurence Deschamps-Laporte, professeure au département de science politique à l’Université de Montréal et nouvelle directrice scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

On n’assiste pas à une décrédibilisation généralisée des institutions internationales d’après-guerre.

Laurence Deschamps-Laporte, de l’Université de Montréal

L’OTAN, dont le président de la République française, Emmanuel Macron, avait déclaré la « mort cérébrale » en novembre 2019, est aujourd’hui un partenariat consolidé entre ses membres fondateurs d’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest, certes, mais aussi avec nombre d’anciens satellites soviétiques qui ont grossi l’alliance au cours des 30 dernières années.

Vladimir Poutine, qui espérait semer la division, a pour le moment surtout réussi à resserrer les rangs en plus d’inciter la Finlande et la Suède à demander l’adhésion.

L’Union européenne — qui a montré de sérieux signes de faiblesse avec le Brexit et la crise des migrants de 2015 — reprend elle aussi du poil de la bête. Malgré des différends sur les sanctions à imposer à la Russie et des dépendances asymétriques au gaz et au pétrole russes, l’UE reste pour le moment cohérente et soudée.

C’est du côté des Nations unies — principale organisation multilatérale à émaner de la Seconde Guerre mondiale — que les constats sont les plus mitigés. Si 141 des 193 pays membres n’ont pas hésité à dénoncer l’agression russe contre l’Ukraine dans l’enceinte de l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité, lui, est paralysé.

Freiné par le veto accordé aux cinq grandes puissances de la planète en 1945, l’organe qui doit assurer la paix et la sécurité échoue lamentablement. Catastrophiquement.

À un point tel que la Russie et la Chine se servent de l’enceinte pour déverser leur propagande plutôt que d’avoir à répondre de leurs actes.

Lorsqu’il a été accordé, le fameux veto avait pour principal objectif de convaincre les cinq grandes puissances de l’époque — les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine et l’Union soviétique — de collaborer entre elles pour assurer un équilibre mondial. Le veto servait aussi à assurer à ces puissances nucléaires qu’elles ne seraient pas soumises à une ONU trop dominante, une concession importante pour obtenir leur adhésion.

Malheureusement, depuis des décennies, ce veto est devenu un chèque en blanc pour ceux qui y ont accès et pour leurs alliés. Et il est sérieusement remis en cause dans la foulée de la guerre en Ukraine. « Réformer le Conseil de sécurité, on en parle depuis des décennies, mais la crise actuelle a rendu le manque de légitimité encore plus visible. Cette réforme sera difficile, mais on n’a simplement plus le choix », croit Laurence Deschamps-Laporte.

Bien sûr, il n’y a aucune raison de se réjouir de la guerre qui sévit en Ukraine depuis bientôt six mois. Toute cette souffrance, toute cette destruction, toutes ces pertes de vies humaines sont absolument inutiles et crève-cœur.

Cependant, on ne peut ignorer que cette crise a amené des alliés récalcitrants à se serrer les coudes. Et incité certains pays — dont l’Allemagne, la Finlande, la Suède et le Japon — à dépoussiérer une culture diplomatique héritée du dernier grand conflit mondial et de la guerre froide. D’une autre ère.

Et il y a là source d’espoir. Personne ne survit à une immense tempête en enclenchant le pilote automatique.