Ça devait être bouclé en trois jours. Une opération éclair pour « dénazifier » l’Ukraine, renverser le régime en place et instaurer un gouvernement fantoche à Kyiv, vite fait, bien fait.

Deux mois plus tard, la Russie ne fait plus allusion à une modeste opération spéciale de trois jours, mais… à la Troisième Guerre mondiale. Rien de moins.

Pure intimidation ? Il faut évidemment l’espérer. Mais il faut aussi constater que la guerre en Ukraine entre dans une nouvelle phase, périlleuse pour la planète.

Cette semaine, la Russie a interrompu ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie. Des explosions ont retenti en Transnistrie, enclave prorusse coincée entre la Moldavie et l’Ukraine. Jeudi, Kyiv a été la cible de frappes russes en pleine visite du secrétaire général des Nations unies.

L’Europe craint des débordements dans les pays voisins. Les États-Unis durcissent le ton. Le conflit s’enlise. Forcément, il y aura plus de sang, plus de larmes, plus de haine. Le risque d’escalade est réel. Et terrifiant.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a prévenu lundi que le conflit pouvait dégénérer en guerre mondiale : « Le danger est grave, il est réel, on ne peut pas le sous-estimer. »

En Russie, la télé d’État a rafraîchi sa rhétorique. Exit la dénazification de l’Ukraine ; Moscou est désormais engagé dans une lutte existentielle. Ce n’est plus la Russie contre l’Ukraine, mais la Russie contre l’OTAN et le reste du monde. Une guerre pour sa survie.

Beaucoup d’experts perçoivent, dans ce changement de discours, une tentative assez grossière de justifier une guerre qui s’embourbe, mais surtout de faire peur aux Occidentaux.

Une façon de leur dire : cessez de fournir des armes à l’Ukraine, sans quoi…

Peine perdue. Jeudi, Joe Biden a réclamé 33 milliards de dollars américains supplémentaires au Congrès, dont 20 milliards pour renforcer l’effort de guerre en Ukraine. « Le coût de cette bataille n’est pas modeste », a admis le président, mais à long terme, échouer à repousser l’agresseur russe serait encore plus coûteux.

Deux jours plus tôt, les représentants de 40 pays s’étaient réunis en Allemagne pour discuter de l’aide militaire apportée à l’Ukraine. Vladimir Poutine ne s’attendait probablement pas à une telle mobilisation internationale. Il n’a aucun intérêt à provoquer une escalade de cette guerre. Pour la Russie, les conséquences seraient catastrophiques.

Et pourtant, personne ne peut prévoir la suite des choses. Parce que personne n’est dans la tête de Poutine.

Depuis deux mois, la puissante armée russe accumule les revers cuisants en Ukraine. Non seulement elle a échoué à s’emparer de la capitale, mais elle a dû battre en retraite sur plusieurs fronts afin de concentrer ses troupes dans l’est du pays. Et, même là, la bataille n’est pas gagnée. Dans le Donbass, la résistance ukrainienne est forte.

Quand il a lancé les hostilités, le 24 février, Vladimir Poutine croyait pouvoir s’emparer d’une démocratie européenne à peu de frais. Il se trompait lourdement. Il a surestimé sa propre armée et sous-estimé celle de l’Ukraine. Il ne croyait pas que l’Occident se mobiliserait pour lui faire barrage.

Le voilà, humilié à la face du monde, brandissant la menace nucléaire. Mercredi encore, le despote a prévenu ceux qui seraient tentés d’intervenir que les frappes russes menées en représailles seraient « fulgurantes ».

« Nous avons tous les outils pour cela, des choses dont personne d’autre ne peut se vanter de disposer actuellement, a déclaré Poutine. Et nous ne nous vanterons pas, nous les utiliserons si nécessaire. »

Non, il n’est pas temps de courir aux abris. Mais une possible escalade du conflit devrait nous préoccuper au moins autant que ce qu’il nous en coûte pour faire un plein d’essence.

Si Vladimir Poutine ne bluffe pas, s’il pense vraiment être engagé dans une lutte existentielle pour la Russie, alors nous sommes vraiment confrontés à la Troisième Guerre mondiale, selon Tom Nichols, spécialiste des affaires internationales récemment retraité du US Navy War College.

Pas la Troisième Guerre mondiale rhétorique dont on parle vaguement en ce moment, mais la vraie, avec la mort de centaines de millions de personnes – dans une guerre tant conventionnelle que nucléaire.

Tweet de Tom Nichols, spécialiste des affaires internationales

L’objectif de Tom Nichols n’est pas de nous faire peur, mais de nous faire comprendre que la balle est maintenant dans le camp de Poutine. C’est lui qui fera le choix, ou pas, de l’escalade. Ce sera son coup de dés.

On ne contrôle pas ce qui se passe à Moscou. « Nous devons être déterminés, calmes et prêts. C’est tout ce que nous pouvons faire », insiste Tom Nichols.

Keep calm and carry on, comme disaient les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.

Rien ne sert d’appeler au renversement de Poutine ou à l’envoi de troupes en Ukraine, ce qui embraserait une situation déjà explosive. Pour le moment, nous ne pouvons que maintenir notre soutien à ce pays en espérant que Poutine ne fera pas le très mauvais choix stratégique de lancer les dés.