Il a été la voix de l’ours Paddington en ukrainien et la star de comédies à succès. Puis, il est devenu président de son pays, abandonnant les costumes de scène pour un costard noir. Pourtant, c’est maintenant que Volodymyr Zelensky joue le rôle de sa vie.

Depuis le début de l’invasion russe, jeudi dernier, l’improbable homme d’État ukrainien s’est transformé en héros tragique.

Alors que le président de l’Afghanistan, Ashraf Ghani, a pris la poudre d’escampette dès que les talibans se sont approchés de Kaboul l’été dernier, Volodymyr Zelensky a décidé de rester dans la capitale ukrainienne. Même s’il sait qu’il est l’une des principales cibles de Vladimir Poutine. Même si les États-Unis ont offert de l’exfiltrer.

Sa réponse aux Américains passera d’ailleurs fort probablement à l’Histoire. « J’ai besoin de munitions, pas d’un chauffeur ! », a-t-il dit. Le message est clair.

Et ce message, il le répète partout où il peut. Tous les jours, il met en ligne sur son compte Instagram et ailleurs sur les réseaux sociaux des discours dans lesquels il appelle les Ukrainiens à la résistance, les Russes à dénoncer la position de leur gouvernement et le reste du monde en renfort.

Consultez le compte Instagram du président de l’Ukraine

Pour contrer de fausses nouvelles suggérant qu’il a fui le pays, il s’est montré à quelques reprises dans les rues de Kyïv (Kiev, en russe), seul ou avec les membres les plus influents de son gouvernement et du Parlement. « Le président est là. Nous sommes tous là », dit-il sur un ton calme, mais défiant, alors que les bombes russes continuent de pleuvoir sur son pays.

Lors de ses apparitions, il porte invariablement des teintes de camouflage. Un t-shirt, un chandail à manches longues ou encore un gilet pare-balles. C’est le président qui parle, mais aussi le commandant en chef.

Et le courant passe. Lundi, un nouveau sondage indiquait que 91 % des Ukrainiens l’appuyaient. Des membres de la diaspora ukrainienne du monde entier mettent le cap sur l’Ukraine pour venir en renfort au président et à l’armée.

Même engouement dans les chancelleries du monde entier, où ses appels à l’aide semblent trouver des oreilles attentives, de la Turquie à l’Inde en passant par l’Union européenne et le Canada. Même la Suisse est sortie lundi de sa neutralité légendaire pour imposer au régime de Vladimir Poutine des punitions financières.

Pourtant, il y a un mois, on n’aurait pas donné cher de la peau de ce comédien devenu politicien. Ses principales promesses électorales – combattre la corruption et mettre un terme au conflit avec la Russie – étaient en train de se transformer en déception collective. « Pendant les deux premières années de son mandat, on a vu les limites de son inexpérience politique. Et beaucoup critiquaient son côté autoritaire », note Dominique Arel, professeur et titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. Le président ukrainien a notamment été à l’origine d’une procédure judiciaire pour que son opposant et prédécesseur, Petro Porochenko, soit accusé de trahison. Une procédure douteuse qui a fait sourciller de nombreux alliés de l’Ukraine.

Dans un sondage réalisé à la fin de janvier, il y a tout juste un mois, plus de 65 % des Ukrainiens interrogés estimaient qu’il ne devrait pas se présenter pour un second mandat. Pas exactement une grosse cote d’amour. On était loin du scrutin qui l’a porté au pouvoir en 2019 avec 73 % des voix.

Mais voilà, en quelques jours, la guerre a tout changé. Et elle a permis à Volodymyr Zelensky d’exceller de nouveau dans ce qu’il sait faire de mieux : communiquer et incarner un idéal.

Dans l’émission qui l’a rendu célèbre, Serviteur du peuple, il jouait un professeur qui remportait la présidence ukrainienne après avoir fait une grosse colère contre la corruption et les oligarques du pays. C’était un rôle, mais beaucoup d’Ukrainiens y ont cru. Beaucoup ont été déçus en réalisant qu’il y avait un fossé entre la fiction et la réalité.

Mais le rôle du chef de la résistance que joue aujourd’hui Volodymyr Zelensky est bien différent.

Ses talents de comédien et d’orateur sont certainement utiles pour porter son message, mais c’est la détermination avec laquelle il se met personnellement en danger au nom de la survie de l’Ukraine qui émeut.

Ce n’est pas un scénario, c’est la vraie vie. Et plus il devient un symbole fort de la résistance à l’envahisseur, plus il devient l’homme à abattre pour le régime de Vladimir Poutine. Aucun plan de communication ne prépare un politicien à un tel péril, à un tel sacrifice. Et ça force l’admiration.

Ces jours-ci, Volodymyr Zelensky ne joue pas seulement le rôle d’une vie. Il joue sa vie tout court. Et il mérite que le monde entier lui serve de bouclier.