C’est un tintement sur son téléphone cellulaire, accompagné d’une notification de la BBC, qui a appris à Seth Shelden que Joe Biden venait de remporter l’élection du 3 novembre 2020. Après quatre jours d’incertitude.

Une larme de soulagement a immédiatement coulé sur la joue du militant de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), lauréat du prix Nobel de la paix en 2017.

Au même moment, les klaxons et les hurlements de joie se sont fait entendre à l’extérieur dans le quartier de Brooklyn, où il habite. Le New-Yorkais a ouvert la fenêtre pour respirer la liesse.

J’ai assisté à toute la scène de l’autre côté de mon cellulaire. J’avais appelé Seth, qui a été mon colocataire lorsque nous étions étudiants à l’Université de Caroline du Nord, pour connaître son point de vue sur l’élection, sur l’état de son pays. Nous avons plutôt partagé une petite page d’histoire par écrans interposés.

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Un an plus tard, Seth Shelden est toujours aussi soulagé de savoir que les codes nucléaires de son pays ne sont plus entre les mains de Donald Trump, le président le plus imprévisible de l’histoire américaine récente.

La liesse, elle, est retombée.

Selon les derniers sondages, seulement 42 % des Américains sont satisfaits du travail du président démocrate un an après son élection. Il n’y a que Donald Trump qui a fait pire avec 37 % d’approbation au même stade de sa présidence.

Ce manque d’enthousiasme semble s’être reflété aux urnes mardi. Au moment de publier, les démocrates venaient de remporter la mairie de New York, mais les républicains étaient en voie de mettre la main sur les sièges de gouverneur en Virginie et au New Jersey.

« Je ne regrette pas d’avoir soutenu les démocrates, dit Seth Shelden. Je suis dans un état constant de soulagement, mais je n’ai jamais eu d’illusions que Joe Biden allait tout régler. Dans beaucoup de domaines, la rhétorique est bien meilleure que pendant l’administration Trump, mais la réalité n’est pas nécessairement plus reluisante », dit-il à partir de son bureau, qui est à un jet de pierre du siège social des Nations unies.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Seth Shelden, avocat américain et professeur à la CUNY School of Law

C’est notamment vrai dans son propre domaine d’expertise : les armes nucléaires. Seth Shelden travaille sans relâche pour convaincre le plus grand nombre de pays d’adhérer au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. À ce jour, 86 pays ont signé l’entente internationale, mais les États-Unis continuent de s’y opposer farouchement.

« Quand on parle d’armes nucléaires, Joe Biden et les démocrates n’ont pas rendu le monde plus sûr. Trump a montré pourquoi le contrôle présidentiel total sur les armes nucléaires était dangereux. Les règles n’ont pas changé depuis son départ. Les États-Unis ont toujours des armes nucléaires déployées en mode de haute alerte à travers le monde. Des 5000 armes nucléaires que nous possédons, 1300 sont déployées. Biden n’a pas non plus fait marche arrière sur la ‟modernisation” de l’arsenal américain. Nous continuons à fabriquer de nouvelles armes », déplore-t-il.

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Alors que les yeux de la planète sont tournés vers Glasgow, où se déroule la conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) et l’avenir de la planète, ceux de Seth Shelden sont tournés vers une horloge qui annonce que nous sommes à peine à 100 secondes de l’apocalypse nucléaire.

Cette horloge, c’est celle du très sérieux Bulletin of the Atomic Scientists, mis sur pied notamment par Albert Einstein. Elle permet d’évaluer chaque année le danger imminent que représente l’arme nucléaire pour l’humanité.

« Les scientifiques l’ont mis à 100 secondes pendant l’administration Trump. Pour sonner l’alarme. Les aiguilles sont restées au même endroit après l’arrivée de Joe Biden. Et pour cause. Plus de pays que jamais ont l’arme nucléaire. On commence une nouvelle guerre froide avec la Chine. On fait face à ce conflit en se préparant pour la guerre. La vente de sous-marins nucléaires à l’Australie est complètement scandaleuse. Ça va à l’encontre de tout notre travail ! », raconte-t-il, exaspéré.

Exaspéré, mais pas désespéré. L’avocat de formation espère qu’il pourra un jour échanger de bonne foi avec l’administration Biden, dont il connaît plusieurs acteurs clés. Les portes étaient fermées à double tour pendant que Donald Trump était à la Maison-Blanche.

« Mais on n’est pas sortis du bois », ajoute-t-il, en espérant que les progressistes des États-Unis ne se laisseront pas endormir par les beaux discours du président actuel et continueront de demander de véritables changements. De demander des comptes. Comme ils l’ont fait de manière exemplaire pendant que Donald Trump était l’occupant du bureau Ovale.

À l’époque, Seth Shelden a été au cœur de la mobilisation de la gauche progressiste. À la fois juriste, professeur de droit et comédien, il a troqué tous ces chapeaux pour se consacrer à la bataille contre les armes nucléaires en 2016. Pour servir de rempart.

La grande reconnaissance internationale qu’il a reçue en tant que membre de l’ICAN ne l’a qu’énergisé davantage. « En matière de politique étrangère, on nous donne ce faux choix entre les démocrates et les républicains. Mais dans ce domaine, les démocrates ne sont pas progressistes du tout », souligne celui qui n’a aucune intention de baisser la garde.