Peut-être que la guerre d’Afghanistan était une guerre « juste », peut-être qu’en 2001, frapper le régime des talibans était justifié. Au début, du moins. Peu de gens, il y a 20 ans, s’opposaient à punir les talibans pour avoir permis à Al-Qaïda de commettre le pire acte terroriste de l’histoire des États-Unis.

Ce fut la plus longue guerre américaine, une nation qui a l’habitude des longues guerres. La présence en Afghanistan prend fin officiellement – et symboliquement – le 11 septembre 2021. Vingt ans plus tard.

Vingt ans qui ont montré une chose : c’est une chose d’envahir un pays, d’y imposer un changement de régime… Et c’en est une autre de « gagner » une guerre de guérilla, même si on forme la plus grande puissance militaire de l’histoire de l’humanité.

J’allais dire qu’on le savait depuis que les Américains se sont cassé les dents en Irak…

Sauf que non : on le sait depuis bien plus longtemps. On le sait depuis que les Américains se sont cassé les dents au Viêtnam, et depuis que les Russes se sont cassé les dents en Afghanistan.

Mais on a fait semblant que cette fois-là, ce serait différent.

Ce n’est pas différent. L’armée afghane s’écroule comme l’armée du Viêtnam du Sud avant elle, il y a 46 ans. Après 20 ans d’occupation en Afghanistan, après des milliards et des milliards à « former » une armée qui pourrait mater les talibans sans l’aide de l’Occident, sans l’aide des Américains, bang, les talibans sont en train de reprendre le pays…

Chaque jour, une nouvelle province, une nouvelle capitale tombe. Les talibans triomphent de l’armée afghane comme la poêle brûlante triomphe toujours du beurre.

Je n’ai pas oublié le traumatisme de 2001. Je ne vais pas dire qu’il ne fallait pas frapper les talibans, décapiter ce régime qui avait permis à Oussama ben Laden et ses camarades illuminés de planifier et de préparer les attaques de septembre 2001 : 3000 civils morts sur le sol américain…

Il fallait les frapper, répondre. Ces salauds méritaient d’être déculottés. Et quand les Américains ont assassiné ben Laden en 2011, je l’avoue, j’ai lâché un « Yes ! » bien senti.

Mais fallait-il rester en Afghanistan pendant 20 ans, occuper le pays au complet dans l’espoir qu’on y créerait une démocratie stable où les citoyens vivraient comme en Occident ? Je n’y ai jamais cru.

Comment ?

Construire la démocratie, envoyer les Afghanes à l’école, combattre le fondamentalisme religieux…

Bien sûr. J’en suis. Je suis pour la démocratie, pour la scolarisation des fillettes de par le monde au mépris des fondamentalistes religieux méprisables.

Mais on ne s’est jamais posé la question : pourquoi l’Afghanistan ?

Je dis « on », parce que le Canada a fait partie de l’aventure. Nous avons envoyé des troupes, des consultants, des travailleurs humanitaires et des milliards de dollars pour « reconstruire » l’Afghanistan. Des Canadiens ont versé leur sang, des individus qui ont fait leur part de bonne foi. Leur courage ne saurait être remis en question. La question n’est pas là.

La question est ailleurs : pourquoi l’Afghanistan ?

Pourquoi pas l’Arabie saoudite, mettons ? Les Saoudiens ont un mépris des femmes semblable à celui des talibans, un rejet de la démocratie en tous points pareil à celui des talibans qu’il fallait faire tomber en 2001.

La dictature saoudienne est tout aussi détestable que les talibans pré-2001 ou post-2020. La dictature saoudienne est misogyne, sanguinaire, rétrograde. On ne l’écœure pas trop, trop… Même si des Saoudiens ont trempé dans le 11 septembre. Mais les Saoudiens sont officiellement « nos » alliés. Alors on leur fout la paix. On peut dire la même chose du Pakistan, officiellement « notre » allié, mais qui a bien contribué à aider les talibans pour nuire aux Américains pendant ces 20 années de guerre…

« On », je ne parle pas de vous et moi. Je parle de nos États, en Occident, et ça inclut le Canada. Le Canada qui vend du matériel militaire aux Saoudiens, par exemple. Nos États continuent de collaborer avec ce régime moyenâgeux, obscurantiste, misogyne. Mais le royaume d’Arabie saoudite, c’est le régime des talibans sauf que les talibans ne sont pas assis sur du pétrole.

Pourquoi l’Afghanistan ? Je ne serai pas très sophistiqué dans ma réponse, désolé, mais ça revient aux mêmes raisons qui expliquent à peu près toutes ces invasions-occupations : du mesurage de graine géostratégique.

Il fallait envoyer un message à l’Iran, aux Russes, projeter la puissance américaine, faire peur aux régimes « hostiles » de « l’axe du Mal », avoir un pied à terre dans une région vitale aux intérêts américains, mobiliser une armée qui doit bien servir à quelque chose, qui doit se servir de ses jouets de temps à autre en conditions réelles…

Et surtout, surtout : impressionner nos citoyens, chez nous, aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en France. Envoyer des soldats à l’étranger, c’est une façon de faire de la politique chez soi. God bless the troops, pis tout ça.

Accessoirement, oui, bien sûr, « combattre » le terrorisme, un concept aussi périmé que les clubs vidéo. On combat le terrorisme par le renseignement et par des frappes ciblées. Pas avec des B-52, des tanks et des postes avancés dans des provinces afghanes éloignées où personne ne veut vous voir là. Pas à long terme, en tout cas.

Et les fillettes afghanes qu’il fallait envoyer à l’école, dans tout ça ? Ben, je suis pour la scolarisation des fillettes sur toute la planète, à l’abri des salauds de fondamentalistes religieux de toutes confessions, je vous jure que j’en suis.

Mais si vous avez cru que la scolarisation des Afghanes était autre chose que la page couverture du plan de marketing de cette occupation militaire, je ne sais pas quoi vous dire.