Les gangs ne cessent de gagner du terrain en Haïti face aux forces de l’ordre, rendant impérative une intervention musclée de la communauté internationale, au dire d’un analyste de l’International Crisis Group (ICG).

« Il n’y a plus de stratégie sécuritaire qui vaille sans une assistance renforcée venant de l’extérieur » du pays, a indiqué mardi en entrevue Diego Da Rin, qui suit de près l’évolution de la situation.

La police nationale, qui tente d’enrayer la progression des gangs, a déjà perdu des milliers d’agents en raison d’un problème d’attrition qui risque encore de s’aggraver.

« Il y a de plus en plus de policiers qui partent en se disant qu’ils n’ont pas le nombre ni les armes qu’il faut pour affronter les gangs », relève M. Da Rin, qui s’alarme de voir que les groupes criminels se disputent aujourd’hui le contrôle de quartiers autrefois épargnés de la capitale Port-au-Prince, et étendent leur influence en zone rurale.

La population se retrouve souvent prise en étau dans des affrontements territoriaux opposant les gangs liés au G9, chapeauté par un ex-policier, Jimmy « Barbecue » Chérizier, et ceux qui sont réunis sous la bannière du G-Pèp.

Plusieurs autres gangs tentent par ailleurs de faire leur place, ajoutant à l’insécurité, note M. Da Rin.

Civils pris pour cible

Une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, Marta Hurtado, a sonné l’alarme mardi relativement à la situation en Haïti en dévoilant qu’environ 530 personnes avaient été tuées et 300 autres blessées du début de janvier à la mi-mars.

« Nous demandons à la communauté internationale d’envisager d’urgence le déploiement d’une force d’appui spécialisée » avec un plan d’action « complet et précisé », a-t-elle déclaré.

Mme Hurtado a précisé à l’Agence France-Presse que bon nombre des victimes recensées avaient été tuées ou blessées par des « tireurs embusqués qui auraient tiré au hasard sur des personnes se trouvant chez elles ou dans la rue ».

M. Da Rin a indiqué que ces tirs sont surtout observés dans des zones où les « lignes de front » entre gangs sont bien établies, en particulier à Cité-Soleil, bidonville le plus important de la capitale.

PHOTO RALPH TEDY EROL, ARCHIVES REUTERS

Un enfant court pour se mettre à l’abri après sa sortie de l’école, à Port-au-Prince, début mars.

Des tireurs sont utilisés, dit-il, pour cibler des civils en vue de convaincre la population que le gang local ne peut les protéger et les pousser à quitter le territoire ciblé.

Avoir des gens sur ton territoire t’assure que tu as un pouvoir sur quelque chose. Sans population, il n’y a plus de pouvoir.

Diego Da Rin, analyste de l’International Crisis Group

La violence a atteint une telle intensité à Cité-Soleil au début du mois que Médecins sans frontières (MSF) a décidé de fermer temporairement son hôpital dans le secteur.

La cheffe de mission adjointe de l’organisation dans le pays, Quitterie Deschard, a indiqué mardi que de violents combats opposant le G9 au G-Pèp étaient survenus à proximité immédiate de l’établissement et que des balles étaient tombées à plusieurs reprises à l’intérieur.

« Il n’était plus possible d’assurer la sécurité des patients et de notre personnel », a-t-elle expliqué.

Des violences similaires sont survenues durant la même période au centre-ville de Port-au-Prince à proximité d’un centre d’urgence de MSF qui a reçu jusqu’à dix fois plus de blessés par balle que d’habitude.

Des collègues haïtiens de Mme Deschard qui avaient déjà abandonné leur domicile pour trouver refuge dans un quartier plus sécuritaire sont aujourd’hui rattrapés par les combats dans la ville, témoignant de l’élargissement de la zone d’influence des gangs.

PHOTO RALPH TEDY EROL, ARCHIVES REUTERS

Des jeunes cherchent à se mettre à l’abri lors d’un conflit entre gang et police locale, dans la capitale haïtienne, début mars.

Leurs membres utilisent aussi souvent les violences sexuelles « comme arme pour terroriser, soumettre et punir » la population, ont prévenu mardi les Nations unies, qui ont recensé par ailleurs près de 300 enlèvements depuis le début de l’année.

Les rançons obtenues grâce à ce stratagème sont devenues plus critiques pour plusieurs gangs après l’imposition de sanctions ciblant des membres de l’élite économique et politique haïtienne accusés de soutenir leurs activités.

Implication canadienne

Les actions du gouvernement canadien, qui a ciblé une quinzaine de personnes pour leurs liens allégués avec des gangs, sont « importantes » et risquent d’avoir un effet marquant à plus long terme, note M. Da Rin.

Elles ne règlent cependant pas la problématique des gangs dans l’immédiat, relève l’analyste, qui s’interroge sur les intentions du Canada relativement à une possible intervention étrangère en Haïti.

Le gouvernement libéral du Canada est sous pression des autorités américaines, qui aimeraient voir le pays prendre la tête d’une telle initiative, mais les Forces armées canadiennes se montrent sceptiques.

En entrevue avec Reuters, le chef d’état-major, Wayne Eure, a récemment indiqué que les engagements canadiens envers l’Ukraine et l’OTAN pesaient déjà lourdement sur les ressources disponibles.

Le ministère des Affaires étrangères fédéral n’a pas répondu spécifiquement mardi aux questions de La Presse relativement à la mission projetée, se bornant à dire que le gouvernement continuerait « à chercher des moyens pour soutenir le peuple haïtien » de concert avec ses partenaires dans la région.

M. Da Rin note que le gouvernement du premier ministre Ariel Henry réclame une telle mission alors que des acteurs importants de l’opposition politique et de la société civile continuent de s’y opposer.

Le processus lancé en début d’année en vertu d’un accord de transition pour permettre la tenue en 2023 de nouvelles élections et sortir le pays de l’impasse politique suscitée par l’assassinat du président Jovenel Moïse connaît des ratés et pourrait tourner court, prolongeant une période d’instabilité faisant le jeu des groupes criminels, souligne l’analyste d’ICG.

« Les gangs ne perdent pas de temps. Pendant que la crise politique perdure, ils continuent d’avancer », prévient-il.