(Port-au-Prince) La police nationale d’Haïti a annoncé vendredi avoir repris le contrôle du plus important terminal pétrolier du pays, qui était sous la coupe des gangs armés depuis la mi-septembre. Des affrontements étaient toujours en cours dans le secteur, mais l’opération offre une petite lueur d’espoir à une capitale aux prises avec une crise humanitaire et économique, à laquelle s’ajoute une vague de choléra.

En approchant à pied vers le carrefour « Aviation » jeudi matin, Francesca Joseph a vu des véhicules de la police nationale haïtienne à l’arrêt, dont des véhicules blindés. La jeune mère de 27 ans se rendait au plus grand marché de la capitale, tout près, où elle vend des piments et des oignons.

« Et là, tout à coup, ça s’est mis à tirer, et pas seulement quelques balles. » Mme Joseph a dû rebrousser chemin rapidement.

« Tout le monde courait, certains piétons sont tombés à terre. J’ai couru par en haut. »

Elle n’est pas retournée au marché depuis, en raison des tirs qui se sont poursuivis durant la journée de vendredi.

On ignore le nombre exact de victimes durant l’opération policière qui aurait commencé mercredi. Au moins un employé du terminal a été blessé, a annoncé vendredi la police haïtienne.

« Les nombreuses balles qui ont été tirées sont une preuve de la détermination [que l’on a] pour débloquer Varreux », explique-t-on dans une publication sur le compte Facebook officiel de la Police nationale d’Haïti. Le texte est accompagné de photos de policiers armés devant les installations pétrolières de Varreux. Certains des six véhicules blindés construits au Canada et livrés par l’armée canadienne et l’armée américaine il y a deux semaines ont servi dans l’opération, confirme une source diplomatique canadienne.

« Pour le moment, on a le contrôle de tout Varreux, des équipes sont en rotation, et durant la prochaine semaine, la livraison de gaz va pouvoir commencer », a fait savoir vendredi un policier haut placé joint par La Presse.

Une grave pénurie d’essence perturbe depuis deux mois l’approvisionnement en eau, en plus de bloquer l’ensemble de l’économie. Toutes les usines de textile de la capitale sont à l’arrêt cette semaine et la rentrée des classes de l’automne n’a toujours pas commencé en Haïti, pour la plupart des écoles.

En attendant l’essence

« La majorité de mes pompes ont été vandalisées en lien avec certaines manifestations », a raconté un propriétaire de stations-service joint par La Presse vendredi, qui a requis l’anonymat. De nombreuses manifestations ont suivi l’annonce par le gouvernement en septembre d’une hausse de plus du double des prix de l’essence.

« La plupart des bris sont liés aux écrans sur les pompes, des pièces qu’on ne trouve pas dans le pays en grande quantité », explique celui qui possède plusieurs points de vente depuis plus de 20 ans.

Il redoute une reprise moins rapide qu’anticipé, d’autant que la demande très forte entretient un marché noir parallèle. « Si les gens pensent que dès lundi il y aura du carburant dans toutes les stations, on ne voit pas ça comme ça, dit-il. Tout dépend de l’appui des compagnies pétrolières. »

Deux politiciens sanctionnés par le Canada et les États-Unis

En parallèle, les États-Unis et le Canada ont inscrit deux noms vendredi sur une liste de personnes sanctionnées en raison de leur lien présumé avec des activités criminelles en Haïti. Les avoirs du président du Sénat, Joseph Lambert, ainsi que de l’ancien sénateur Youri Latortue sont désormais gelés, ont indiqué les deux pays. Ils sont également interdits de séjour au Canada et aux États-Unis.

« Le Canada a des raisons de croire que ces personnes utilisent leur statut d’ancien ou d’actuel titulaire d’une charge publique pour protéger et permettre les activités illégales de gangs criminels armés », selon le communiqué d’Affaires mondiales Canada.

Ces gangs et leurs partisans terrorisent les populations vulnérables en Haïti en toute impunité, et précipitent une crise humanitaire en Haïti qui comprend la résurgence du choléra sur l’île.

Extrait du communiqué d’Affaires mondiales Canada

Youri Latortue, dont une partie de la formation en droit a été effectuée au Québec, a pris la parole vendredi sur les ondes d’une radio privée de Port-au-Prince. Il affirme être persécuté pour des raisons politiques.

« La question de l’intervention [étrangère] s’est posée et vous connaissez ma position [contre], je crois que cette position les a dérangés », s’est défendu l’ex-sénateur de la région de l’Artibonite.

Nous imposons des sanctions sur des élites politiques haïtiennes qui donnent un soutien financier et opérationnel à des gangs armés. Le Canada ne va pas rester les bras croisés alors qu’ils terrorisent la population en toute impunité et précipitent une crise humanitaire.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Le Trésor américain accuse plus spécifiquement M. Latortue d’avoir été « impliqué dans le trafic de cocaïne depuis la Colombie vers Haïti » et d’avoir « poussé d’autres personnes à commettre des actes de violence en son nom ». L’affaire de trafic de drogue du sénateur Joseph Lambert, toujours en poste, remonterait quant à elle « à deux décennies », selon les États-Unis.

En raison de ses frontières poreuses et de ses côtes pour la plupart non surveillées, Haïti est une plaque tournante de la cocaïne vers l’Amérique du Nord et l’Europe depuis de nombreuses années.

« Je suis bien contente qu’on tente de mettre fin à ces histoires de violence, ça cause beaucoup de problèmes », espère Francesca Joseph. Elle s’inquiète aussi à court terme du manque de nourriture sur la table pour ses enfants alors qu’elle n’a plus de revenus plus depuis deux jours. « J’aimerais au moins que les armes s’arrêtent dans le pays. On n’arrive plus à vivre. »